François Farges a effectué un voyage d'étude au Brésil en septembre 2011. Il a donné des cours de Minéralogie à l'Université de Belo Horizonte et est intervenu comme expert pour étudier l'impact de l'exploitation minière sur l'environnement dans l'état du Minas Gerais . Son intervention entrait dans le cadre d'un projet de l'UNESCO sur la qualité de l'eau.
La conférence d'aujourd'hui est un compte rendu de ce voyage. François Farges nous y montre que si le Brésil est un paradis pour les minéralogistes (en introduction, il présente de magnifiques spécimens du MNHN provenant du Brésil), les gigantesques mines exploitées dans ce pays posent des problèmes environnementaux qui n'ont pas toujours été suffisamment pris en compte.
![]() Rutile et hématite Novo Horizonte, Bahia |
![]() Albite et muscovite Minas Gerais |
![]() Brazillianite Minas Gerais |
Trois belles pièces de la collection du Muséum d'Histoire naturelle provenant du Brésil
Photos François Farges © MNHN |
Le Minas Gerais, capitale Belo Horizonte, est en superficie un peu plus grand que la France ; c'est un des trois grands états miniers du Brésil, les deux autres étant le Rio Grande do Sul au Sud et l'état de Bahia au Nord.
C'est un plateau monotone, à environ 1 000 mètres d'altitude, occupé par une savane appelée cerrado. Le climat est tropical avec une température moyenne de 21°C et est caractérisé par l'alternance des saisons sèches et humides. Le rio Sao Francisco est le grand fleuve (longueur totale 3 160 km) qui le traverse du Sud au Nord ; les explorateurs portugais l'ont remonté pour pénétrer à l'intérieur du pays. Un de ses affluents, l'Abaete est connu pour avoir livré les premiers diamants du Brésil. De nos jours, une grande partie de la savane a été défrichée et souvent remplacée par des plantations d'eucalyptus qui fournissent la matière première pour la production de charbon de bois destiné à la sidérurgie.
Le socle du Minas Gerais est un craton très stable et très ancien ; les mines de fer sont situées dans le Quadrilatero ferrífero (le Quadrilatère du fer). Les formations sont du type banded iron formations (BIF) et datent du Protérozoïque. On explique l'origine de ces dépôts par l'augmentation du taux d'oxygène dans l'atmosphère terrestre qui a transformé l'oxyde ferreux soluble en oxyde ferrique (hématite et magnétite) beaucoup moins soluble.
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Deux images d'Ouro Preto : église baroque et rues pavées Photos et © François Farges |
L'ancienne capitale du Minas Gerais, Ouro Preto (Or noir en portugais), témoigne à elle seule des activités minières passées, du moins en ce qui concerne la période coloniale. Cette ville a été très importante et prospère au XVIIIe siècle, du temps des chercheurs d'or. Aujourd'hui, elle est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, et les touristes peuvent y admirer ses belles églises baroques et ses rues pavées par les esclaves. En visitant l'Ecole des Mines de la ville, c'est avec surprise que François Farges a découvert le squelette d'un Teleosaurus (reptile du Jurassique, ressemblant à un gavial actuel) donné en 1882 par Alfred des Cloizeaux et Albert Gaudry, professeurs de Minéralogie et de Paléontologie au Muséum national d'Histoire naturelle.
A quelques kilomètres d'Ouro Preto, le touriste peut visiter la plus ancienne mine d'or du pays, Passagem de Mariana, maintenant fermée, mais qui a produit 35 tonnes d'or pendant son exploitation.
Si ces mines représentaient un eldorado (el dorado = le doré en espagnol, un pays regorgeant d'or) pour ceux qui s'y aventuraient, la vie y était brutale et les réglements de compte n'étaient pas rares. Ils n'ont d'ailleurs pas totalement cessé. François Farges nous raconte l'histoire récente d'un mineur qui travaillait dans la mine de topaze impériale d'Antonio Pereira, près d'Ouro Preto. A la fin de la journée, il ramassait des débris d'excavation qu'il triait le soir dans sa maison. En fait, ces débris contenaient de l'or, que personne à part lui n'avait repéré. Son ingéniosité a été sa perte : il a été assassiné par ses collègues de travail lorsqu'ils ont compris ce qu'il faisait. Depuis cet incident tragique, la mine est fermée.
![]() Empreinte de la mine de Passagem de Mariana dans le paysage |
![]() La mine de topaze d'Antonio Pereira actuellement fermée |
Photos et © François Farges |
Le Brésil est un des premiers pays mondiaux pour l'industrie minière. Il est troisième pour le minerai de fer (~ 390 millions de tonnes par an, après la Chine et l'Australie) et il possède de très grandes compagnies minières comme Vale S.A., la seconde du monde dans le secteur.
Le minerai du Minas Gerais est une hématite de très bonne qualité ; les mines traitent des millions de tonnes de minerai par an et font disparaître des collines entières à la dynamite. Même si les taux de métaux lourds et autres éléments polluants sont faibles (quelques ppm), les quantités sont telles, que les déblais contiennent des quantités importantes d'éléments nocifs.
Au cours du voyage, François Farges a visité plusieurs mines et usines de la région, et il nous montre des cas de sites pollués ou présentant des risques de pollution. Les déblais produits par les mines sont souvent utilisés pour construire des barrages ou des digues ; le but étant de protéger les cours d'eau ou faire des réservoirs piégeant les eaux polluées à traiter. Mais ces barrières ne sont pas toujours efficaces :
Un exemple particulièrement significatif est visible à l'usine de Très Marias qui traite le minerai oxydé (de type Franklin Furnace, New Jersey) de Vazante. Des croûtes blanchâtres, mélanges d'hydroxycérusite, d'hydrozincite et d'hydroxycarbonate de cadmium entourent toute la périphérie d'un réservoir.
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Croûtes blanchâtres, signes de pollution, dans un réservoir de l'usine de Très Marias Photo et © François Farges |
Les conséquences sur la qualité des eaux sont immédiates et un exemple est fourni par les mesures effectuées dans le Rio Sao Francisco entre les années 1990 et 2010. Pendant cette période, on observe une amélioration près de Très Marias, mais une dégradation importante en aval, au niveau de Pirapora.
La dégradation de la qualité de l'eau se répercute évidemment sur la chaîne trophique ; les mesures effectuées par le Muséum on montré que le poisson le plus apprécié de la région, l'Hoplias, est également le plus malsain. Ce poisson carnivore est le prédateur situé au sommet de la chaîne alimentaire de l'écosytème, il ne s'alimente que de poissons contaminés et concentre les substances toxiques du milieu où il vit.
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Evolution de la qualité de l'eau dans le rio Sao Francisco entre 1990 (à gauche) et 2010 (à droite) Source : Horn et al., Université de Belo Horizonte |
Dans cet exposé, François Farges nous a présenté deux images du Brésil. La première est bien connue et positive : un grand pays moderne et en plein progrès où il fait plutôt bon vivre. La seconde est plus inquiétante : les problèmes environnementaux générés par la gigantesque industrie minière du pays sont difficilement maîtrisables. Les dégâts écologiques sont aujourd'hui réels, et risquent de s'amplifier ; le Brésil a en effet tendance à développer son industrie minière, source de richesse et de développement, d'autant plus que la concurrence avec la Chine est ouverte.
Faut-il pour cela conclure que tout est irrémédiablement perdu pour notre planète ?
Pour terminer sur une note plus optimiste, François Farges nous présente un cas où exploitation et développement durable ne semblent pas antinomiques. Il s'agit d'une petite mine souterraine où l'on extrait du micaschiste qui contient des émeraudes. Les résidus (essentiellement biotite, amphibolite et phlogopite) sont riches en sodium et potassium et il semble qu'ils pourraient être utilisés comme fertilisant pour les exploitations d'eucalyptus ; les essais en cours sont encourageants. Que ce modeste exemple soit un élément d'espoir pour tous ceux qui cherchent à exploiter les ressources naturelles de notre planète sans pour autant la défigurer.