Les habitués des samedis de la SAGA connaissent bien Erik Gonthier, maître de conférences au Laboratoire de Préhistoire du Muséum national d'Histoire naturelle ; il a en effet déjà donné plusieurs exposés à notre association, le dernier étant un compte rendu de voyage dans la région du Makay, à Madagascar. Aujourd'hui, il nous emmène dans une autre région lointaine, en Papua-Barat (Papouasie occidentale), où il a travaillé dans le cadre de l'expédition Lengguru-Kaimana. Organisée par plusieurs instituts français et indonésiens et placée sous la direction de Laurent Pouyaud (Institut de Recherche pour le Développement), cette mission a exploré la baie de Triton et ses environs. Elle regroupait de nombreux chercheurs et techniciens (géologues, botanistes, ichtyologistes, spéléologues, plongeurs, etc.) et Erik Gonthier dirigeait l'équipe d'archéologie. Il nous fait part de ses découvertes.
La partie occidentale de la Nouvelle Guinée |
La Nouvelle Guinée est une grande île située à une centaine de kilomètres seulement de la pointe septentrionale de l'Australie. Elle a une forme allongée (2 400 km de long x 700 km de large) et son axe NO-SE est marqué par une chaîne de hautes montagnes qui culmine à près de 5 000 mètres d'altitude. Son climat est équatorial et elle est connue pour la diversité de sa faune et de sa flore.
Sur le plan administratif, deux nations se partagent l'île :
La Nouvelle Guinée indonésienne est peu peuplée (2,8 millions d'habitants pour une superficie de 420 000 km2) ; les populations autochtones sont des Papous, ensemble ethnique morcelé en plusieurs centaines de tribus parmi lesquelles certaines sont encore très isolées et peu connues. L'intégration de la région à l'Indonésie est difficile et les mouvements indépendantistes s'opposent régulièrement aux forces gouvernementales.
Deux ilôts de la baie de Triton |
La baie de Triton est située au Sud-Ouest de la province de Papua-Barat. La baie et sa région sont calcaires, ce qui détonne dans une île essentiellement volcanique et soumise à des tremblements de terre. Cela s'explique par la présence d'un prisme d'accrétion qui a émergé suite à la subduction de la plaque pacifique sous la plaque australienne.
Sous le climat tropical de l'île, l'érosion du calcaire est importante, d'où un relief karstique prononcé : des diaclases, des grottes,
des torrents, des blocs effondrés qui obstruent les vallées, etc. Dans la baie, l'érosion se traduit par un grand nombre d'îlots aux parois
abruptes, couverts de végétation et très difficiles d'accès.
Deux motifs à trait simple |
Les dessins de la baie de Triton sont sur les parois calcaires des ilôts, toutes orientées dans la direction Nord-Sud. Ils sont au niveau de l'eau ou en hauteur, parfois jusqu'à une vingtaine de mètres. Dans ce cas, leur accès est particulièrement difficile et nécessite incontestablement une bonne aptitude à la varape. L'exploration de ces parois a également fait découvrir des sépultures dont les dernières n'avaient pas plus de quelques dizaines d'années. Au total, 15 sites ont été observés et relevés pendant les trois semaines de l'expédition.
Les dessins, en général de couleur rouge, sont souvent de taille modeste mais certains atteignent 2 mètres de haut. Le pigment utilisé est de l'argile récupérée dans les fissures de calcaire ; mélangée à l'eau, on peut en imprégner la roche par pression avec le doigt. Les archéologues ont identifié deux types de signes :
On ne sait pas grand chose sur la méthode utilisée par les artistes pour produire ces dessins. Ils ont dû rencontrer les mêmes difficultés pour dessiner que les archéologues ont eues pour faire les relevés ! Ils utilisaient probablement des échelles, des cordes et des pitons (certaines perforations sont visibles sur les parois). Pour les plus grands dessins, il est possible qu'un assistant guidait l'artiste depuis une pirogue positionnée face à la paroi.
Il est difficile de dater ces dessins, entre plusieurs milliers d'années et quelques dizaines d'années seulement. Les inscriptions les plus récentes sont des graffitis faits par des indépendantistes qui ont écrit leurs revendications sur des dessins originaux.
En remontant les cours d'eau qui se jettent dans la baie, l'expédition a découvert plusieurs galeries (ce qui n'est pas surprenant dans un
relief karstique) et des gravures dessinées au charbon de bois.
Dessins zoomorphes (de gauche à droite, mâle, femelle, mâle et femelle) |
Bien que la baie de Triton ait été connue des navigateurs depuis fort longtemps, aucun d'eux ne mentionne de dessins dans ses récits de voyage. Leur découverte est sans aucun doute une source de satisfaction pour Erik Gonthier, mais il ne peut s'empêcher de faire part d'un certain regret : le dernier Papou autochtone de la région a disparu il y a quelques dizaines d'années seulement. Personne aujourd'hui ne peut vraiment expliquer la symbolique des signes, et personne ne peut dire comment et pourquoi on dessinait ces figures sur ces parois abruptes.
Enfin, on ne peut passer sous silence les craintes que l'on peut éprouver sur l'évolution de ce pays. La Papouasie est très riche
en matières premières, cuivre, or, argent, bois, pétrole, etc. et la tentation est grande pour le gouvernement indonésien d'exploiter ces ressources
au détriment des populations indigènes et de l'environnement. Un exemple particulièrement significatif est donné par la mine de Grasberg
(actuellement, la première au monde pour l'or et la troisième pour le cuivre) située dans les montagnes, à plus de 4 000 mètres d'altiude.
Cette immense mine est une source de revenus importante (elle représente à elle seule 2% du PIB de l'Indonésie entière) mais son implantation
s'est faite au prix de l'expulsion et de la répression des populations autochotones, et son exploitation a des répercussions désastreuses sur
l'environnement.
Graffitis indépendantistes sur une paroi |
Dessin dans une galerie |
Si vous souhaitez en savoir davantage sur l'expédition, vous pouvez consulter son site internet Lengguru-Kaimana 2010.