Jean-Marc Valère est un jeune géologue, diplômé de l'Université Pierre et Marie Curie. Dans cette conférence,
il nous emmène dans une région remarquable de Madagascar, le massif du Namoroka. En 2012, une
équipe internationale, dirigée par Thomas Haevermans, maître de conférences au MNHN, y a réalisé le premier inventaire
de la faune et de la flore. Au retour de l'expédition, Jean-Marc a eu la chance d'étudier la géologie du massif sous la direction
d'Erik Gonthier. Il nous présente ici un compte rendu de son travail.
Chacun de nous situe Madagascar sur un planisphère : une grande île de 1 580 km de long par 500 de large, d'axe NNE-SSO, séparée du continent africain par le canal de Mozambique. Mais on sait beaucoup moins comment cette île a été formée sur notre Terre ? Au Jurassique moyen (165 Ma), une vaste portion continentale regroupant Madagascar, l'Inde, l'Australie et l'Antarctique actuels s'individualisait du Gondwana, alors que plus à l'Ouest, l'Océan Atlantique était en pleine expansion. Au Crétacé inférieur, il y a 125 Ma, Madagascar atteignait la position que nous lui connaissons aujourd'hui, tandis que l'Inde, l'Australie et l'Antarctique continuaient leur dérive.
Le relief de Madagascar est contrasté : montagneux sur le côté Est, le paysage est composé de plateaux - ou cuestas - accidentés au centre et à l'Ouest. Ce modelé crée des variations climatiques importantes, les extrêmes se situant au Nord-Est de l'île (très humide, précipitations 3 500 mm / an) et au Sud-Ouest (seulement 500 mm /an).
Le massif du Namoroka est un plateau calcaire de 220 km2 appartenant aux cuestas malgaches,
situé côté Ouest, dans la province de Majunga. Son climat semi-aride provoque des précipitations brutales de
1 150 mm / an lors des cinq mois correspondant à la saison humide.
Position de Madagascar au Jurassique moyen Source : E. Gonthier et J.M. Valère |
Bloc 3D du réseau karstique du Namoroka Source : E. Gonthier |
Le terme karst a été emprunté à une région des Alpes slovènes. D'une manière générale, c'est une structure géomorphologique résultant de l'érosion chimique et hydraulique de formations carbonatées. Ses caractéristiques générales sont les suivantes : un relief déchiqueté et ruiniforme en surface, des grottes et des réseaux hydrologiques en souterrain. On a l'habitude de distinguer deux domaines, l'endokarst et l'exokarst.
L'endokarst est la partie souterraine du karst. L'eau s'y infiltre à partir des fractures recoupant les roches du massif. Suivant que leurs plans sont obliques, verticaux ou horizontaux, ces anfractuosités sont appelées des failles, des diaclases ou des joints de stratification.
La solubilisation du dioxyde de carbone dans l'eau produit de l'acide carbonique, source d'ions hydrogène qui rompent les molécules de carbonate. Les réactions chimiques élémentaires qui entrent en jeu sont réversibles :
Le bilan de ces réactions montre qu'il peut y avoir dissolution ou précipitation du calcaire en fonction du déplacement de l'équilibre :
Au Namoroka, pendant la saison des pluies, le phénomène de dissolution domine et forme des réseaux souterrains. En revanche, la réaction s'inverse pendant la saison sèche et la calcite ou l'aragonite précipite en déposant lentement des spéléothèmes (stalactites, draperies, gours).
L'exokarst correspond à l'environnement extérieur du massif calcaire karstique ; on y trouve plusieurs formations géologiques caractéristiques :
En malgache, les lapiez sont appelés tsingy ; ils sont formés par deux processus particulièrement importants dans la réserve du Namoroka :
Ces deux phénomènes donnent l'image spectaculaire et exceptionnelle du Namoroka : un plateau profondément entaillé par un
réseau complexe de canyons aux parois abruptes, de véritables murs de calcaire extrêmement effilés, atteignant fréquemment 300
mètres de hauteur. S'y aventurer est difficile et risqué. Le massif est très isolé, d'où son intérêt pour les zoologistes et
les botanistes. Le terme tsingy signifiant marcher sur la pointe des pieds en langue malgache est
d'ailleurs très évocateur.
Schéma d'un réseau endokarstique Source : E. Gonthier et J.M. Valère |
Modelé exokarstique Source : E. Gonthier et J.M. Valère |
La roche du Namoroka est un sable calcaire (calcarénite) cimenté par de la calcite microcristalline (micrite). En y regardant de plus près, il apparaît que les grains de sable sont en réalité des oolithes, formées à partir d'un noyau (nucléus), d'origine rocheuse ou fossile, entouré d'une ou plusieurs enveloppe(s) concentrique(s). Leur taille moyenne est de 250 µm.
L'étude des oolithes en lame mince et par la technique de la microscopie optique montre que la
nature des nucléii est variée : algues coralliaires, échinodermes (crinoïdes, ophiures ou oursins), bivalves, foraminifères
(alveolinidae, miliolidae), etc. Les échinodermes et a fortiori les foraminifères sont des marqueurs paléo-environnementaux.
Ces derniers permettent de reconstituer l'environnement à l'origine des éléments de la roche (grains, fossiles, etc.).
La diversité des éléments fossilifères présents dans les nucléii des oolithes suggère une genèse de la roche dans des
eaux marines, favorables à la vie récifale, peu profondes (compatibles avec la photosynthèse), chaudes et bien oxygénées (agitées).
Lame mince des tsingy du Namoroka Source : J.M. Valère |
Schéma d'une oolithe Source : J.M. Valère |
Nucleus d'algue coralliaire Source : J.M. Valère |
Nucleus d'alveolinidae Source : J.M. Valère |
Détail du contenu fossilifère du calcaire des tsingy |
Dans la dernière partie de son exposé, Jean-Marc Valère dépasse le cadre strictement géologique et aborde la question de la sauvegarde des écosystèmes malgaches. Etant une île depuis plus de 100 millions d'années, il n'est pas surprenant que l'évolution ait généré un grand nombre d'espèces propres à Madagascar, tant animales que végétales (spéciation).
Le massif du Namoroka présente à lui seul une très grande diversité biologique (hotspot) : on y dénombre par exemple 218 espèces végétales, 81 espèces d'oiseaux, 8 de lémuriens, 5 d'amphibiens et 30 de reptiles. Un grand nombre de ces espèces est endémique au massif et par nature fragile car cette diversité biologique peut être concurrencée par des espèces invasives plus tolérantes.
D'autre part, la population malgache augmente de 3% chaque année et est majoritairement rurale et pauvre ; il y a un accroissement des terres agricoles et une surexploitation des forêts pour la production de charbon de bois, source d'énergie domestique la moins chère. Finalement, cela se traduit par une déforestation importante qui impacte les environnements naturels sensibles :
Dans ce contexte, les espèces généralistes, tolérantes aux variations physico-chimiques des milieux de vie et ayant une faible spécialisation alimentaire adoptent un taux de reproduction plus élevé que les espèces spécialistes qui exploitent des conditions environnementales précises. A terme, il y a un risque important de disparition des espèces endémiques qui constituent aujourd'hui le véritable trésor de Madagascar.
Le problème est connu depuis longtemps et les premières réserves naturelles malgaches ont été créées en 1927. Depuis cette date plusieurs mesures ont été prises au niveau national pour limiter la déforestation et protéger le patrimoine naturel. La plus récente date de 2002 et consiste à aider les populations rurales, à limiter la culture sur brûlis (tavy), et à mettre en place un projet d'éco-tourisme. D'autres aides sont apportées par des organismes internationaux comme l'ONU ou des ONG comme le World Wildlife Found.
Mais il est évident que la sauvegarde de l'écosystème malgache (et celui du Namoroka en particulier)
n'est pas pour autant assurée. Il s'agit avant tout de décisions économiques et politiques, d'éducation et de sensibilisation
des populations rurales aux problématiques environnementales.
Source : CNRS |
Source : méridianes géo |
Source : Wild Madagascar | |
Quelques paysages du Namoroka |
Nous remercions chaleureusement notre jeune conférencier qui a présenté avec beaucoup de pédagogie ce relief exceptionnel, très loin des paysages karstiques de nos régions tempérées. Nous lui souhaitons beaucoup de voyages et de découvertes dans sa vie professionnelle.
Pour en savoir plus :