Ploumanac'h est sans doute un des lieux naturels les plus connus de France où se rencontrent amateurs de beaux paysages et géologues. Qui n'a jamais entendu parler du granite rose des Côtes-d'Armor ? Quel étudiant en géologie n'a pas étudié les plutons granitiques de Bretagne ? Nicole Santarelli connaît particulièrement bien le complexe granitique de Ploumanac'h et y a accompagné des groupes d'étudiants ou d'amateurs. Dans cette conférence très documentée, elle nous montre la variété des roches que l'on peut y découvrir et nous en fait comprendre la genèse.
Situation géologique
Ploumanac'h est un complexe granitique situé sur la côte septentrionale de la Bretagne, à la pointe Nord du Trégor, entre Trébeurden et Perros-Guirec. Sur la carte géologique de la France au 1/1 000 000, on observe son alignement sur l'axe des "granites rouges" qui vont de l'extrémité du Finistère (Aber-Ildut, Morlaix) au Cotentin (Flamanville et Barfleur). A plus grande échelle, on mesure son étendue (12 x 8 kilomètres environ) et on voit son organisation en anneaux concentriques entourés d'un encaissant.
 Le complexe granitique de Ploumanac'h Carte géologique modifiée d'après Barrière (1977) |
L'encaissant
Comme pour tout pluton granitique, le complexe de Ploumanac'h est intrusif dans un ensemble de formations plus anciennes appelées encaissant. Celui-ci est composé principalement de trois types de roches, de nature et d'âge différents :
- les gneiss de Trébeurden ;
- le pluton granitique de Perros-Guirec ;
- les cornéennes de l'île Milliau.
Les gneiss de Trébeurden, font partie des roches les plus anciennes affleurant en France. Leur datation par la méthode U/Pb sur zircon les fait remonter à l'Icartien (2 Ga). Ces gneiss sont des orthogneiss (anciens granites), souvent oeillés, déformés et métamorphosés par les orogenèses cadomienne (570 Ma) et hercynienne (300 Ma). Ils affleurent sur une bande allant de l'Ouest du pluton (pointe de Bihit) à l'Est (Porz-Rolland).
Le granite de Perros-Guirec constitue un batholite de granite gris, situé à l'Est du complexe de Ploumanac'h. Il est intrusif dans l'Icartien et est daté du Briovérien inférieur (615 Ma, début du cycle Cadomien). Il est recoupé par des filons de granite rose de Ploumanac'h.
L'île Milliau est une petite île, située à quelques kilomètres de la côte, côté Ouest du complexe. Le pluton y a engendré un métamorphisme de contact, visible sous la forme de cornéennes gréso-pélitiques. Leur âge n'a pas été déterminé.
 Granite de Ploumanac'h (clair) et gneiss de Trébeurden (sombre) à Porz-Rolland |
 Filons de granite rose de Ploumanac'h recoupant le pluton gris de Perros-Guirec à Porz-Rolland |
 Les cornéennes gréso-pélitiques (sombres) de l'île Milliau |
 Détail des cornéennes de l'île Milliau |
| Trois formations de l'encaissant du complexe granitique | |
Les trois unités du pluton de Ploumanac'h
La géochimie permet de placer le complexe de Ploumanac'h parmi les associations calco-alcalines potassiques et son âge, calculé sur isochrone Rb/Sr, est estimé à 293 Ma ± 15 Ma (Vidal 1976, 1980). Mais l'étude détaillée du site permet de différencier trois unités disposées en anneaux et qui ne sont pas rigoureusement cogénétiques :
- unité 1, précoce et externe, syénogranite de la Clarté et monzogranite de Traouiéros ;
- unité 2, intermédiaire, monzogranite de Canton et monzogranite de Woas-Wen ;
- unité 3, tardive et interne, leucogranites de l'île Grande.
Dans les granites externes, le faciès la Clarté est le plus connu de tous les granites du complexe, celui qui fait la renommée touristique de la fameuse côte rose. C'est un syénogranite à gros grains avec de beaux cristaux de feldspaths roses, couleur qui serait due soit à la présence d'hématite dans les feldspaths alcalins, soit à un phénomène d'autométasomatisme (circulation de fluides tardifs riches en fer en fin de cristallisation). Ce granite est à structure planaire ; il contient des enclaves basiques, des gabbros et de l'encaissant. Il renferme également des cristaux de molybdénite (sulfure de molybdène, MoS2). Il est toujours exploité et est très apprécié des sculpteurs et des architectes, en France et à l'étranger. La variété orbiculaire que l'on trouvait dans un petit secteur des carrières de la Clarté est particulièrement rare et recherchée.
Le granite de Traouiéros est un monzogranite au grain plus grossier que celui de la Clarté et sa situation est plus interne.
Dans l'auréole des granites externes, on trouve également des filons de kersantite et des roches basiques (semblables aux gabbros de Saint-Jean-du-Doigt) qui représentent, au total, un quart du volume du pluton.
 La côte rose de Ploumanac'h |
 Détail des cristaux |
| Granite faciès la Clarté | |
Les spécialistes distinguent six types de granites intermédiaires. On peut en retenir trois principaux qui sont des monzogranites :
- le plus ancien est le granite de Canton qui s'injecte dans le granite rose. Il est à grain fin peu ou pas orienté ;
- le granite de Haren est à grain très fin, gris sombre un peu rosé. Il est légèrement postérieur au granite de Canton ;
- le granite de Woas-Wen est leucocrate (il contient très peu de biotite) à texture saccaroïde, blanc à peine rosé, peu ou pas orienté. Il peut être localement porphyroïde. Il est pratiquement synchrone du granite de Haren.
 La côte de granite intermédiaire (granite de Canton) |
 Enclave de granite faciès la Clarté dans le granite intermédiaire de Canton |
| Landrellec | |
L'île Grande, située au coeur du complexe est maintenant rattachée au continent par un pont. On y distingue deux faciès à grain moyen : un monzogranite à biotite, gris-bleu à gris-blanc et un leucogranite gris-blanc, riche en muscovite et cordiérite, qui recoupe le précédent. Les granites bleus ont été exploités et on peut voir de beaux échantillons sur le carreau des anciennes carrières.
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| Granites clairs à grains fins | Détail des cristaux du leucogranite à cordiérite (gris-blanc) |
| L'île Grande | |
Conclusion : la mise en place du complexe plutonique de Ploumanac'h
L'histoire magmatique du complexe ne dure que quelques millions d'années, un laps de temps court pour les temps géologiques. On peut la résumer par trois intrusions successives :
- pour commencer, ce sont les granites à gros grain et les roches basiques qui se mettent en place dans une chambre en forme de cône à section elliptique. Les magmas, granitique et basique, sont orientés par l'écoulement ascendant, d'où la fluidalité planaire des roches ;
- puis, une nouvelle venue magmatique fracture ce premier pluton qui vient de cristalliser. Cet épisode met en place les granites intermédiaires qui recoupent les granites roses ;
- enfin, un effondrement survient au centre des granites intermédiaires et l'espace libéré se remplit du granite de l'île Grande.
Actuellement, les trois types de granite affleurent mais il ne faut pas perdre de vue que les affleurements que l'on observe constituent une coupe horizontale des formations qui ont été mises en place, en profondeur, au Carbonifère. L'érosion du secteur depuis la formation du granite est considérable ; elle peut être estimée à au moins 8 000 mètres.
L'interprétation géodynamique de l'intrusion n'est pas simple. Les granitoïdes calco-alcalins apparaissent en général dans les zones de subduction ou dans des contextes de collision continentale, hypothèses qui ne peuvent être retenues pour le pluton de Ploumanac'h. A l'heure actuelle, on considère que ce pluton a pour origine le déchirement d'un panneau lithosphérique ; hypothèse qui serait confirmée par l'alignement des granites nord-armoricains (Ouessant, Aber-Ildut, Morlaix, Flamanville, Barfleur).
Le complexe de Ploumanac'h est un des plus beaux exemples de pluton annulaire en France, et il fait sans nul doute partie du paradis du géologue.
Comme à chacune de ses interventions à la SAGA, les participants ont été sensibles aux qualités didactiques de Nicole Santarelli et ils la remercient
très chaleureusement. Plusieurs documents et sites internet sont facilement accessibles pour préparer un voyage géologique à Ploumanac'h ou en Bretagne
d'une manière générale. Nous donnons ci-dessous les plus abordables :
