Les ammonites, un tour d'horizon

Jérémie Bardin

Jérémie Bardin a soutenu une thèse sur les ammonites en 2013 et est actuellement Assistant Temporaire d'Enseignement et de Recherche (ATER-Postdoc) au Centre de Recherche sur la Paléobiodiversité et les Paléoenvironnements (CR2P), une unité rattachée au MNHN et à l'Université Paris VI. Dans cette conférence, il nous rappelle quelques idées de base sur ces fossiles et nous présente plusieurs axes récents de recherche en ammonitologie.

Introduction

Objets de mythes et légendes, sources d'inspiration pour les artistes, les ammonites ne sont pas des fossiles tout à fait comme les autres, et l'intérêt qu'on leur a porté au cours des âges dépasse le champ de la paléontologie. Le nom même « ammonite » nous renvoie loin du domaine scientifique : il vient du dieu Ammon, dieu égyptien représenté sous la forme d'un bélier dont la forme des cornes rappelle celle de la plupart des ammonites (l'étymologie se retrouve d'ailleurs dans un grand nombre de noms de genre construits avec le suffixe « ceras » qui signifie « corne » en grec).

Les ammonites sont évidemment familières aux paléontologues amateurs et la dalle aux ammonites, près de Digne (Alpes de Haute-Provence) est sans doute un des sites paléontologiques les plus spectaculaires et les plus connus de France : la dalle, datée du Sinémurien (Jurassique inférieur) regroupe près de 1 500 ammonites sur un espace de quelques centaines de m2 seulement.

Pourtant, les ammonites restent relativement mal connus à l'heure actuelle.



Le dieu Ammon
Source : Staatliche Antikensammlungen (Munich)


Section d'une ammonite
Source : J. Bardin

Anatomie des ammonites

La forme de la coquille est la principale caractéristique des ammonites. Le plus souvent, celle-ci a disparu pendant le processus de fossilisation, mais on en a la trace par le moule interne qu'elle a laissé. Il existe une très grande variété de dimensions, de formes et d'ornementations, côtes et tuberculations (ou épines) :

La structure interne des ammonites montre une succession de loges séparées par des cloisons réunies par un siphon, l'animal vivant dans la cavité extrémale. Ces chambres, plus ou moins remplies d'air servaient de ballast et permettaient les déplacements verticaux de l'ammonite, les déplacements horizontaux étaient assurés par la propulsion d'un jet d'eau.

Sur le plan anatomique, le nautile est l'animal actuel le plus proche des ammonites (coquille spiralée, présence de loges et d'un siphon, etc.).



Ammonite évolute
Amaltheus salebrosum

Source : J. Bardin


Ammonite involute
Vascoceras tectiforme

Source : H. Châtelier


Ammonite hétéromorphe
Nipponites

Source : J. Bardin

Les aptychi (ou aptychus) sont des éléments assez souvent fossilisés. Ce sont des pièces buccales mais on ne sait pas exactement ce qu'ils représentaient sur l'animal : la mâchoire inférieure ou un opercule fermant la chambre d'habitation et protégeant l'animal en cas de danger ? On a également retrouvé des pièces interprétées comme des morceaux de radula (dents des mollusques).

Par contre, on n'a jamais retrouvé de parties molles d'ammonites (tentacules, branchies, etc.) même dans les sites de conservation exceptionnelle comme Solnhofen. Cette lacune, particulière aux ammonites (on a retrouvé des parties molles fossilisées d'autres mollusques) n'est pas encore expliquée.



Aptychus
Source : Wikimedia Commons, Bramfab


Reconstitution d'une radula
Source : Kruta et al., 2011

Certains ammonitologues comme Westermann ont établi des corrélations entre la forme des ammonites et leur mode de vie : les plus effilées étaient probablement de bonnes nageuses alors que les plus globuleuses devaient se déplacer lentement, certaines ne faisaient peut être que ramper sur le sol. Malgré leur coquille, les ammonites étaient la proie de prédateurs comme l'attestent de nombreuses morsures de reptiles marins. On a longtemps pensé que les ammonites étaient carnivores mais des recherches récentes ont pu reconstituer des mâchoires de certaines espèces et montrer qu'elles se nourrissaient de plancton.



Diversité des formes d'ammonite
Source : J. Bardin


Morsure de mosasaure sur une ammonite
Source : Kauffman and Kesling, 1960

Biostratigraphie

Les ammonites ont peuplé les mers pendant une très longue période, du Dévonien (~ 415 Ma) à la fin de l'ère Secondaire (65 Ma), au total 350 millions d'années. Leur disparition à la crise Crétacé-Tertiaire n'est pas clairement expliquée : il est surprenant de constater qu'à la fin du Secondaire les ammonites étaient beaucoup plus diversifiées que les nautiles, que ces derniers ont survécu à la crise K/T alors que les ammonites ont toutes disparu.

Les ammonites constituent le fossile biostratigraphique par excellence. Depuis les débuts de la stratigraphie, elles ont été utilisées pour étudier les formations sédimentaires et établir des correspondances entre les différentes couches où on les trouve. Plusieurs caractéristiques expliquent cette position particulière des ammonites :

Par voie de conséquence, la taxinomie des ammonites a été dominée par la stratigraphie, ce qui a été un facteur d'inflation du nombre d'espèces, chaque géologue / paléontologue décrivant une période particulière et prêtant relativement peu d'attention aux espèces qui ont précédé ou suivi celles qu'il observe dans la période qu'il étudie. On a identifié aujourd'hui 20 000 espèces d'ammonites.

Le dimorphisme des ammonites

Le dimorphisme sexuel, c'est-à-dire les différences morphologiques (notamment de taille) marquées entre mâles et femelles d'une même espèce est courant chez les céphalopodes actuels. Il en est de même chez les ammonites qui ont souvent des formes macroconques (femelles) et microconques (mâles).

La classification actuelle, basée sur la forme des coquilles n'a pas tenu compte de cette variabilité au sein des espèces, ce qui a biaisé les déterminations. Jérémie Bardin cite le genre Dactylioceras qui regroupe plusieurs espèces dont certaines comme D. pseudocommune et D. polymorphum sont en réalité les formes macroconque et microconque de la même espèce.

Mais la mise en évidence du dimorphisme sexuel d'une espèce est délicate et nécessite une investigation poussée : il faut vérifier que dans une même distribution stratigraphique et géographique, les fossiles adultes (en fin de croissance) peuvent être classés en deux catégories de même importance et de taille différente.



Dimorphisme sexuel de Dactylioceras
Source : J. Bardin

Phylogénie

A cause de leur ressemblance, on a longtemps pensé que les ammonites étaient proches des nautiles. En réalité, la phylogénie des ammonites est encore mal connue de nos jours, mais il semble que le groupe frère des Ammonoidea soit les Coleoidea (groupe incluant les bélemnites disparues, et les céphalopodes actuels comme les seiches, les calmars et les pieuvres) et non les Nautiloidea.

Conclusion

Les quelques exemples donnés pendant cette conférence montrent que, même si les ammonites sont depuis longtemps bien connues des géologues et paléontologues, elles restent un sujet de recherche. Nul doute que les nouvelles méthodes d'investigation nous permettront de progresser dans la compréhension de ces fossiles.

Pour terminer, Jérémie Bardin présente les grandes lignes de son projet de science participative visant à rapprocher les passionnés d'ammonites, qu'ils soient amateurs ou professionnels, par l'intermédiaire d'un site internet. L'idée est séduisante mais il est évident que la mise en oeuvre d'un tel projet n'est pas simple.

Les participants le remercient très amicalement et lui souhaitent beaucoup de succès pour ses projets et ses recherches. Ils espèrent le revoir prochainement à la SAGA et l'applaudissent chaleureusement.

Deux sites sur les ammonites :





La dalle aux ammonites (Digne, Alpes de Haute-Provence)
Source : J. Bardin


Coroniceras multicostatum
Source : J. Bardin