Le grand diamant bleu... du MNHN
De nouvelles découvertes sur un incroyable diamant

François Farges, Professeur au MNHN et à la Stanford University (USA)



François Farges est passionné par ce diamant exceptionnel qu'est le Diamant bleu de la Couronne. Il a d'ailleurs largement contribué à le faire connaître ; il est coauteur d'un roman policier Le Diamant Bleu (éditions Michel Lafon) et a participé à la réalisation du documentaire A la poursuite du diamant bleu diffusé sur Arte en avril 2011. Cette conférence est un complément à ce documentaire ; François Farges y aborde non seulement l'histoire du diamant, mais surtout les résultats des travaux qu'il a réalisés au MNHN, les propriétés physiques du diamant, sa structure, sa couleur, sa genèse, sa symbolique.


Comparaison du moulage en plomb du MNHN
et du diamant Hope du Smithsonian Museum


Comparaison du diamant Hope
et de la simulation

Une brève histoire du diamant bleu

L'histoire remonte à Louis XIV qui achète un diamant de 112 carats (1 carat = 0.200 g) à un grand négociant et voyageur, Jean-Baptiste Tavernier, qui l'a lui même acheté aux Indes, dans le sultanat de Golconde. La couleur bleu pâle de la pièce la dépréciait aux yeux du sultan qui a accepté de la vendre à un étranger. Louis XIV fait tailler le diamant par Jean Pittan, le joaillier de la cour. Celui-ci met plusieurs années pour façonner ses 72 facettes et en faire un bijou exceptionnel par sa taille (69 carats), sa géométrie et sa couleur, bleu de France.

Le temps passe et la Révolution arrive. Le bijou est volé en septembre 1792 avec la majorité des joyaux de la Couronne. Sa trace disparaît.

Vingt ans plus tard, un banquier et collectionneur anglais Henry Hope acquiert un diamant bleu de 45 carats. On s'interroge rapidement sur l'origine de ce diamant et on soupçonne qu'il s'agit du diamant bleu de Louis XIV qui aurait été retaillé. Le diamant Hope passe ensuite dans plusieurs mains, traverse l'Atlantique et arrive en 1958 au Smithsonian Museum de Washington où il est actuellement une des pièces les plus visitées, malgré sa réputation de porter malheur à son propriétaire.

En 2007, en inventoriant la collection de minéralogie du MNHN, François Farges découvre le moulage en plomb du diamant bleu de Louis XIV et c'est le début d'une série de recherches et de publications sur ce diamant.


Reconstitution du diamant de Louis XIV


Simulations de variations de géométrie

Quelques aspects scientifiques

Les diamants bleus sont très rares ; leur couleur est due à la substitution d'une faible proportion d'atomes de carbone par des atomes de bore (moins de 0,01 %). Cette structure absorbe les longueurs d'onde correspondant au rouge, vert et jaune, ce qui fait apparaître le cristal en bleu. Elle donne également à ces diamants des propriétés de supra-conductibilité aux basses températures, de l'ordre de quelques °K.

François Farges a reconstitué la couleur du diamant Hope à partir de programmes informatiques mettant en oeuvre les équations de la théorie quantique. On est frappé par la ressemblance entre les photographies du diamant réel et le résultat de la simulation. On observe que la couleur bleu foncé résulte de la réfraction de la lumière sur les différentes faces du diamant et qu'au contraire, lorsque la lumière traverse directement le diamant, sur la face du dessus, il apparaît pratiquement transparent.

Ces propriétés optiques n'étaient évidemment pas expliquées scientifiquement au XVIIIe ou XIXe siècle, mais elles étaient probablement connues des artisans qui ont taillé le diamant bleu de Louis XIV et le diamant Hope. En piégeant la lumière au maximum, leur géométrie donne la belle nuance de bleu que l'on connaît.

François Farges a non seulement étudié le diamant Hope, mais a reconstitué en 3D la morphologie du diamant taillé par Jean Pittan, celle du diamant brut acheté par Jean-Baptiste Tavernier et même celle du cristal originel, un rhombicuboctaèdre de 300 carats.

La simulation permet également de visualiser le diamant de Pittan lorsque l'on fait varier légèrement sa géométrie. On s'aperçoit que pour obtenir l'aspect rendu, la précision de la taille doit être de 5° pour les angles ou de 0,5 mm pour les distances. On ne peut qu'être impressionné par l'habileté des artisans qui taillaient ces bijoux : ils tenaient le diamant à la main sur leur tour et il leur fallait deux ou trois semaines pour polir une seule face.

La genèse du diamant bleu

Le diamant vient de la région d'Hyderabad, au coeur du sous-continent indien. Le site diamantifère, près de la cité en ruines de Golconde était déjà connu du temps de Marco Polo sous le nom de Vallée des diamants. Il se situe dans un craton, plus précisément dans des alluvions de la rivière Krishna, au pied de la montagne de l'Aigle. De nos jours, le site est toujours exploité, parfois de manière clandestine.

Comme tous les diamants, le diamant bleu s'est formé dans le manteau, entre 150 et 300 km de profondeur. Il était inclus dans une gangue de lamproite qui est montée rapidement à la surface de la Terre, au Protérozoïque, il y a 1,2 milliards d'années. A cette époque, l'Inde faisait partie d'un super-continent appelé Rodinia.

D'une manière générale, plus les diamants remontent rapidement à la surface, mieux ils conservent la forme du cristal originel ; s'ils montent lentement, ils "fondent" à leur périphérie, ce qui leur donne des formes arrondies lorsqu'ils atteignent la surface de la Terre. Jean-Baptiste Tavernier a dessiné plusieurs diamants ayant cette morphologie, mais on ignore quelle forme avait le diamant bleu brut lorsqu'il fut récolté par les mineurs indiens, cristal ou masse corrodée.

Plusieurs diamants exceptionnels et ressemblant au diamant bleu ont été trouvés dans cette région ; ils provienent tous d'un même gros cristal originel qui s'est fracturé et dont les différents éléments ont été éparpillés pendant la phase d'ascension jusqu'à la surface de la Terre.

La symbolique

La dernière partie de la conférence est consacrée à la symbolique du diamant. Le bleu profond (qui était appelé violet à l'époque) est bien sûr la couleur de la Royauté. L'étoile centrale à sept branches (chiffre en lui-même chargé de symboles, les planètes, les jours de la semaine, le culte d'Apollon, etc.), particulièrement difficile à réaliser est le Roi Soleil dominant la Cour. Cette vision héliocentrique n'est certainement pas une fantaisie d'artiste, mais est une intention du Roi ; n'oublions pas qu'au début du XVIIIe siècle, Rome condamnait encore l'héliocentrisme et que Louis XIV avait des relations conflictuelles avec une bonne partie du monde catholique.

Pour conclure, François Farges résume ce que le diamant bleu est pour lui : un chef d'oeuvre de technologie, de science, d'art, et un instrument de pouvoir absolutiste. Pendant toute cette conférence, il en a parlé avec passion et il a incontestablement transmis son enthousiasme à l'auditoire qui le remercie très chaleureusement. Rendez-vous est pris pour une prochaine conférence sur "le métier de minéralogiste au XXI e siècle".

Bibliographie et sites web recommandés :



Reconstitution du diamant originel


Ascension des diamants dans les cratons indiens