Géologie des métaux

Jean-Yves Reynaud
Maître de conférences au Muséum

 

Cette conférence a été précédemment donnée en décembre 2009 lors des cours publics du Muséum à l'occasion de l'exposition sur l'Or des Amériques. Il s'agit d'un cours de deux heures, comportant une centaine de visuels. On en a extrait ici le plan, quelques éléments et quelques illustrations.

 

Plan :

 

1) Les métaux dans l'Histoire

Les civilisations entre 4000 et 1000 ans avant JC sont nommées d'après leur savoir-faire en métallurgie :

L'évolution des techniques est associée à la possibilité de chauffer à plus haute température des minerais pour en extraire le métal : moins de 1 000°C pour le cuivre, 1 500 pour le fer.

Dans l'Antiquité gréco-romaine, sept métaux usuels sont connus. Au Moyen-Age, c'est en Allemagne, dans la région du Harz (Erzgebirge), que la connaissance de gisements évolue, grâce à quoi Agricola (1556) énonce certains principes stratigraphiques (avant Sténon).

Mais il faut attendre le XVIIe siècle pour que les progrès de la chimie permettent l'extraction d'une dizaine d'autres métaux, et le XVIIIe pour l'amalgamation de l'or (solubilisation dans le mercure). La métallurgie de l'aluminium attendra la fin du XIXe siècle, celle de l'uranium et des terres rares, le courant du XXe siècle.

 

2) Les outils du prospecteur

Aujourd'hui, on utilise des outils de la géophysique et de la géochimie pour prospecter des gisements à l'échelle continentale.

La géophysique inclut des méthodes aéroportées telles que la cartographie des anomalies de radioactivité naturelle (gamma ray), du champ magnétique, ou du champ de la pesanteur, permettant de détecter à distance des massifs métallifères.

La recherche d'index géochimiques dans les eaux de surface et dans les sols est également utilisée, comme pour la détection d'uranium. Toute une baterie d'analyses de laboratoire y est associée : la spectroscopie (activation neutron, Raman, etc.), la microscopie, les ondes ioniques (nanoSIMS), etc.

Les forages, enfin, permettent de reconnaître la forme des gisements et d'en estimer le cubage.

 

3) Les métaux dans l'univers et sur Terre

Les métaux représentent 80% des éléments chimiques, au centre du tableau périodique des éléments. Ils ont la propriété d'avoir une couche électronique externe ni trop ni trop peu remplie d'électrons, ce qui leur confère la propriété de réaliser plusieurs liaisons de covalence avec d'autres atomes électronégatifs comme le soufre et l'oxygène.

Le spectre d'abondance des métaux reflète les processus de nucléosynthèse :

Les métaux et les autres éléments issus de l'explosion des supernovas se recondensent dans les planètes telluriques, suivant un processus d'accrétion qui détermine les enveloppes des planètes, avec les éléments les plus lourds au centre. C'est pourquoi le noyau de la Terre est constitué en majorité de fer, conférant à la planète une magnétosphère.

Les proportions de métaux dans la croûte (leur "Clarke") sont finalement très faibles et les minerais reflètent des processus de concentration géologique des métaux.

 

4) Concentration dans les magmas

La ségrégation de la croûte terrestre se fait à partir de la fusion partielle du manteau qui génère des magmas mantelliques "riches" en nickel, cuivre, chrome, cobalt et EGP (Eléments du Groupe du Platine). Les métaux dans ces magmas sont reconcentrés soit parce qu'ils sont dans des phases immiscibles (liquides soufrés) ou dans des minéraux qui, cristallisés en premier quand le magma refroidit, sédimentent sous forme de "cumulats" dans des "complexes magmatiques lités". Pour obtenir des gisements de la sorte, il faut une fusion très poussée du manteau, ce qui arrivait plus souvent quand la Terre était plus chaude : presque tous ces gisements datent de l'Archéen.

On a aussi des concentrations de métaux dans des magmas issus de la fusion de la croûte, mais ce sont d'autres métaux, dits "hygromagmaphiles", c'est-à-dire ayant une affinité pour l'eau (qui se concentre elle aussi dans les magmas crustaux au fur et à mesure de la cristallisation fractionnée). Ce sont donc logiquement des métaux plus proches des alcalins, formant plus facilement des liaisons ioniques. On peut citer le titane, le tungstène, les terres rares (ou lanthanides) et la famille de l'uranium. On peut également citer le lithium, même si ce n'est pas réellement un métal.

 

5) Concentration dans les fluides hydrothermaux

Les réactions d'hydratation et d'hydrolyse des minéraux de la croûte au contact d'eaux hydrothermales peuvent conduire à des concentrations de métaux qui sans cela ne formeraient pas de gisements. Dans ce processus, les eaux hydrothermales se chargent de certains métaux selon leur solubilité. On remarque que ce sont des métaux "pauvres" (métalloïdes), qui sont plus électronégatifs et donc plus solubles que les autres.

On retrouve l'argent et l'or, associés au cuivre, mais aussi le plomb (avec l'étain) et le zinc (avec le cadmium), entre autres.

Comme type de gisement, on peut citer les porphyres cuprifères, qui sont des minéralisations hydrothermales liées à l'eau dégagée par des chambres magmatiques au contact avec leur encaissant, généralement des roches sédimentaires. On peut également citer les gisements de sulfures massifs de type Kuruko (nom donné d'après des gisements-types japonais), dans lesquels l'eau de mer percole dans la croûte océanique et remonte à la surface pour former des champs de fumeurs noirs (sulfures).

Le même principe s'applique à la genèse des boues métallifères comme celles de la Mer Rouge (on appelle ce dernier type de gisement "SEDEX"). En bout de chaîne, on retrouve des particules d'oxydes dont les plus insolubles formeront les champs de nodules polymétalliques (probablement avec l'aide d'une catalyse microbienne).

Sur le continent, des eaux météoriques continentales, infiltrées à la base des grands bassins sédimentaires sont responsables des minéralisations hydrothermales de cuivre comme celles des Kupferschiefer (Permien d'Allemagne) ou des grès uranifères (comme ceux du Permien du Colorado). Dans ces deux derniers cas, ce sont généralement des oxydes et des sulfures qui précipitent à la frontière entre des eaux oxydantes (ayant solubilisé les métaux) et des eaux réductrices.

 

6) Concentration dans les sédiments

Les plus grands gisements de fer sont sédimentaires. Ce sont les BIF (Banded Iron Formations ou fer rubané, également appelés itabirites) qui sont des alternances de dépôts marins de silice et d'oxydes de fer. Là aussi, ce sont des processus d'oxydo-réduction qui contrôlent la minéralisation. L'âge de ces formations est Protérozoïque (2,7-2 Ga). On pense que ces dépôts sont liés à l'apparition de la photosynthèse, qui a permis la libération d'oxygène dissous et, pour la première fois, la possibilité de précipiter tout le fer qui avait été accumulé précédemment dans les océans par le volcanisme.

Les grands gisements d'aluminium sont également sédimentaires. Ce sont les bauxites (localité type : les Baux de Provence), condensats d'oxydes insolubles formés par l'hydrolyse météorique ou "altération supergène" de la surface continentale en climat tropical humide (comme les latérites).

Sur certains substrats, comme les roches volcaniques ultrabasiques, l'hydrolyse donne lieu à d'intéressants gisements de nickel, comme la garniérite de Nouvelle-Calédonie.

Enfin, ce sont des processus sédimentaires, à savoir le tri hydrodynamique des grains transportés par les rivières à méandres, qui sont responsables de la concentration de particules d'or métallique dans les "placers", comme ceux du Witwatersrand en Afrique du Sud. Dans ce dernier cas, l'or est filonien à l'origine, et dispersé dans les massifs granitiques qui entourent le bassin.

 

7) Gisements métallifères et tectonique des plaques

Les grands types de gisements sont liés à des configurations géodynamiques particulières. On peut les associer aux cycles des supercontinents :

A travers les âges de la Terre, on note également le relais entre des gisements spécifiques de l'Archéen (complexes magmatiques lités) ou du Protérozoïque (BIF) et des gisements liés à l'hydrothermalisme ou à l'érosion de la croûte (Phanérozoïque).