Jean-Marie Rouchy, directeur de recherches au CNRS en retraite, est spécialisé en sédimentologie au laboratoire de géologie du Muséum national d'Histoire naturelle. Dans cette conférence, il nous présente la géologie du Grand Lac Salé, un site exceptionnel qu'il connaît bien et sur lequel il a effectué plusieurs visites en collaboration avec des collègues de l'Université d'Aix-Marseille, G. Camoin et C. Seard.
Le Grand Lac Salé est situé dans les Montagnes Rocheuses américaines, au nord de l'Utah. Salt Lake City, la ville fondée par les Mormons, n'est qu'à quelques kilomètres de ses rives. C'est la relique du lac Bonneville, un lac qui, avec son homologue le lac Lahontan couvrait à la fin du Pléistocène une partie de la vaste région du Basin and Range de l'ouest des Etats-Unis.
Son étendue maximum, il y a 14 000 ans, a été de 50 000 km2, soit à peu près la surface du lac Michigan actuel, et sa profondeur était alors de 330 mètres. L'assèchement partiel de ce très grand lac s'est produit en deux phases : la rupture d'une digue naturelle a d'abord provoqué une vidange brutale dans la Snake River, puis l'aridification climatique a continué l'assèchement de manière progressive, le minimum étant atteint il y a 12 000 ans. Jusqu'à l'actuel, l'étendue du lac a légèrement augmenté avec de faibles fluctuations périodiques pour aboutir au Grand Lac Salé que l'on connaît aujourd'hui.
Le lac Bonneville a généré de grandes quantités de dépôts carbonatés (tufas) que l'on observe aujourd'hui sur des terrasses situées à différentes altitudes, témoins des variations de niveau.
Le site de Bonneville Salt Flats, connu pour les impressionnants records de vitesse qui y ont été établis est une couche évaporitique très étendue déposée dans une dépression adjacente au Grand Lac Salé.
![]() Terrasses lacustres laissées par le lac Bonneville |
![]() Bonneville Salt Flats |
Le Grand Lac Salé est situé dans la région aride du Great Basin, à une alitude de 1 280 mètres. C'est un lac fermé :
plusieurs rivières l'alimentent en eau et en sels minéraux, mais il n'a pas d'exutoire et l'eau qui y entre disparaît par évaporation.
Il s'étend sur 4 400 km2 et sa profondeur moyenne est de 4 mètres. Sa longueur est environ de 120 km, sa largeur de 40 km.
Ces valeurs s'entendent pour une année moyenne car les fluctuations climatiques créent une grande instabilité hydrologique comme le montre le tableau
ci-dessous obtenu à partir des mesures effectuées depuis le milieu du XIXe siècle. Le lac étant situé dans un environnement globalement plat,
des écarts de niveau d'eau de quelques mètres produisent de fortes variations de surface pouvant entraîner de sévères inondations.
Année | Superficie (km2) | Profondeur maximum (m) |
---|---|---|
1987 (maximum) | 8 500 | 14 |
moyenne | 4 400 | 11 |
1963 (minimum) | 2 460 | 7 |
Ces fluctuations de niveau présentent des périodicités diverses et engendrent des écarts de salinité importantes. Pendant les 150 dernières années, le minimum observé est environ de 60 ppm (1987) et le maximum de 270 ppm (1968), valeur proche de la saturation en halite.
En 1963, un causeway (une digue) a été construit au milieu du lac pour faire passer une voie ferrée. Il le coupe en deux parties, nord et sud qui n'ont pas les mêmes caractéristiques physiques car la plupart des rivières qui alimentent le lac se jettent dans la partie sud : le niveau des eaux est quelques décimètres plus haut et la salinité est moins élevée.
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Deux photos satellite montrant les variations de l'étendue du Grand Lac Salé Photos USGS |
Les conditions physiques du Grand Lac Salé constituent un environnement sédimentaire original :
![]() Platier de microbialithes |
![]() Dépôts oolithiques |
![]() Précipitation de halite |
![]() Cristallisation de mirabilite / thénardite |
L'écosystème du lac est évidemment adapté à un environnement hypersalin et est limité à des organismes halotolérants (les poissons et les mollusques sont absents). Mais le nombre limité de ces espèces engendre néanmoins une productivité organique élevée. Nous donnons ci-dessous quelques exemples parmi les plus représentés :
![]() Communauté de cyanobactéries |
![]() Concentration d'Ephydra |
D'autres systèmes lacustres actuels sont plus ou moins comparables à celui du Grand Lac Salé. En Bolivie, la régression au Pléistocène de l'Altiplano a laissé de grandes constructions carbonatées algaires (tufas) et de vastes croûtes de sel (salars). Le contexte du lac Tanganyika est relativement différent puisque son eau est douce (on y trouve des poissons) ; mais, comme dans le Grand Lac Salé, il se forme d'importantes quantités de carbonates sous la forme de microbialithes et d'oolithes. Les lacs Natron et Magadi (Tanzanie) constituent par contre des environnements plus proches du Grand Lac Salé.
L'étude des systèmes actuels permet de comprendre des formations plus anciennes que la dernière glaciation. En France, on peut prendre comme exemple la Limagne où l'on trouve des constructions carbonatées lacustres datées de l'Oligocène au Miocène.