Silvia Gardin est chercheuse au Centre de Recherche sur la Paléobiodiversité et les Paléoenvironnements (CR2P), une unité partagée entre le CNRS, le Muséum et l'Université Pierre et Marie Curie. Elle est responsable de l'équipe Dynamique des écosystèmes et rythmes de l'histoire du Vivant et est spécialiste des microfossiles calcaires.
Les microfossiles sont peu connus du grand public et ne font guère l'objet de grandes expositions ou de films à succès.
Ils tiennent cependant une place importante dans la recherche, notamment en ce qui concerne les paléoenvironnements.
C'est ce que montre Silvia Gardin dans cette conférence où elle nous fait découvrir plusieurs aspects de son métier et
des exemples précis de l'apport de la micropaléontologie.
Microfossiles au microscope électronique Noter les écarts de taille entre les différents exemples |
Calcaire lutétien à nummulites du bassin de Paris Photo I. Rouget |
Les microfossiles sont des fossiles de petite taille, inférieure à 1 mm, les plus petits ne mesurent que quelques microns et sont appelés des nannofossiles. Ils sont constitués de restes d'organismes souvent unicellulaires ou des micro-restes de macrofossiles, par exemple des dents de poissons ou de petits rongeurs, des spicules d'éponge ou des grains de pollen.
Les microfossiles sont parfois visibles à l'oeil nu (on voit par exemple des Numullites dans le calcaire de la pyramide de Khéops ou dans celui de la cathédrale de Reims), mais la plupart nécessitent un microscope pour être observés. Dans la pratique, au laboratoire, on les étudie de nos jours avec des microscopes à balayage électronique (MEB) ou des loupes binoculaires.
Les pionniers de la micropaléontologie sont des naturalistes et géologues du XVIIIe et XIXe siècles : Ambrogio Soldani, Christian Gottfried Ehrenberg et Alcide Dessalines d'Orbigny ont décrit avec une grande précision les microfossiles qu'ils observaient avec les moyens de leur temps. Mais la discipline a été négligée pendant fort longtemps et ne s'est développée qu'à partir des années 1960 grâce aux progrès de la microscopie et aux campagnes internationales d'exploration des fonds océaniques (DSDP, ODP, IODP).
Il existe une très grande variété de microfossiles : ils sont à test calcaire ou siliceux, autotrophes ou hétérotrophes,
vivent à la surface de l'eau ou sont benthiques. Silvia Gardin se focalise sur les micro-organismes marins unicellulaires
pour expliquer les processus de fossilisation et de formation de roches sédimentaires comme la craie,
la diatomite ou la radiolarite (formées respectivement par l'accumulation de coccolithes, diatomées ou radiolaires).
Boue à foraminifères |
Diatomite |
Radiolarite |
Craie |
Quelques roches sédimentaires et les microfossiles qui les constituent | |
Les micro-organismes pullulent dans les mers et les océans actuels comme aux temps géologiques. A leur mort, les squelettes minéralisés tombent vers le plancher océanique. Ils ont tendance à se coller les uns aux autres pour former une "neige marine" (marine snow). L'agglutination accroît la vitesse de chute des squelettes et, si la concentration est suffisante, le phénomène produit de véritables marées. Les tests siliceux peuvent tomber jusqu'à de grandes profondeurs (de 1 000 à 10 000 mètres) mais les tests calcaires sont dissous au-delà d'une certaine profondeur (environ 5 000 mètres) appelée niveau de compensation des carbonates (CCD = carbonate compensation depth). Cependant, certains de ces micro-organismes sont absorbés par le micro-zooplancton (copepodes) et sont rejetés dans des pelotes fécales, ce qui les protège et leur permet d'atteindre des profondeurs supérieures à la CCD.
Les squelettes qui atteignent le fond de l'océan ne représentent qu'une proportion des micro-organismes présents à la surface des océans. Puis, lorsque le sédiment marin subit des transformations physiques et chimiques pour devenir une roche sédimentaire, seules les espèces les plus résistantes à ces modifications chimiques seront préservées, ce qui réduit encore le nombre de microfossiles qui seront disponibles à l'étude. Malgré toutes ces pertes, on estime qu'entre un quart et la moitié des fossiles connus actuellement sont des microfossiles.
Une marée blanche d'Emiliania huxleyi au large des côtes de la Cornouaille Source : Landsat, NASA |
Emiliania huxleyi au microscope Source : D. Greig (Chevron) |
Les microfossiles nous fournissent un grand nombre d'informations sur les temps géologiques :
Par voie de conséquence, les microfossiles sont essentiellement utilisés en biochronologie (mesure du temps géologique) et dans les recherches paléoenvironnementales. Silvia Gardin donne quatre domaines dans lesquels elle montre l'apport des microfossiles.
Un grand nombre de microfossiles sont d'excellents marqueurs stratigraphiques. Silvia Gardin nous montre deux diagrammes qui tracent l'évolution de microfossiles en fonction des étages géologiques sur de longues périodes :
La biochronologie établie à partir des microfossiles est très précise et a été à la base de la prospection pétrolière (les microfossiles sont nombreux dans les carottes de forage alors que les macrofossiles sont pratiquement absents).
Les nannoplanctons sont composés d'espèces cosmopolites et d'espèces qui affichent une préférence nette pour une température d'eau donnée. Ces dernières permettent de cartographier les eaux océaniques actuelles en fonction de leur température ; on peut ainsi distinguer cinq régions : subarctique, tempérée, subtropicale, tropicale, subantarctique.
Des carottages effectués dans l'Atlantique Nord ont permis d'étudier les nannoplanctons dans les sédiments récents. En fonction des espèces de nannoplancton observés dans les sédiments, on peut établir le diagramme représentant la limite méridionale des eaux polaires dans l'Océan Atlantique pendant les 225 derniers milliers d'années.
Distribution actuelle des assemblages de nannoplancton calcaire selon la latitude Modifié d'après Mc Intyre & Bé, 1967 et Mc Intyre et al 1970 |
Migrations du front polaire des eaux dans l'Océan Atlantique pendant les derniers 225 000 ans Modifié d'après Mc Intyre et al 1971 |
L'étude des foraminifères benthiques situés aux alentours du lieu d'échouage de l'Amoco Cadiz a montré une forte proportion d'individus déformés (défaut de croissance, loges anormales, etc.). Ces déformations ont été mises en relation avec la forte concentration des métaux lourds relâchés par les hydrocarbures et il a fallu plusieurs mois avant de retrouver une population avec des individus normaux.
Cette observation a été corrélée à celle faite dans les sédiments intertrapps de Rajahmundry (Inde). Il s'agit de sédiments intercalés entre deux coulées de basalte des trapps du Deccan (~ 66 Ma) où l'on a observé le même type de malformations que sur les individus après la marée noire bretonne.
On vérifie ainsi que les épisodes volcaniques à l'origine des trapps du Decan ont fortement augmenté les teneurs en métaux lourds et ont inhibé la calcification des foraminifères comme dans le cas de la marée noire.
La crise K-T qui marque le passage du Crétacé au Tertiaire (~ 65 Ma) est bien connue de tous en grande partie parce qu'elle est associée à la disparition des dinosaures non aviens. La transition peut être observée sur un grand nombre de sites comme à Bidart dans les Pyrénées-Atlantiques ou à Gubbio en Italie. Elle est marquée le plus souvent par une fine couche d'argile sombre intercalée entre des dépôts marno-calcaires plus clairs et présentant une teneur en iridium importante. Les causes de cette crise sont probablement multiples, mais l'impact d'une grosse météorite, d'une dizaine de kilomètres de diamètre, à Chicxulub (Yucatan, Mexique) est la plus connue du grand public.
De nombreux sondages ont été effectués sur toute la surface de la Terre pour comprendre cet événement géologique majeur. Dans ces recherches, les microfossiles ont apporté un grand nombre de renseignements et Silvia Gardin nous montre plusieurs diagrammes indiquant les conclusions de ces études.
D'une manière générale, on constate une réduction de l'abondance, une diminution de la taille et de la diversité microfossiles à test carbonaté. Certaines espèces ont disparu, notamment les plus grandes, ornementées, spécialisées et vivant dans des eaux tropicales. Les espèces ayant résisté à la crise sont petites et généralistes. Celles qui sont apparues sont cosmopolites. Il faut attendre environ 5 Ma pour que la micro-faune et la nanno-flore retrouvent une situation comparable à celle d'avant la crise.
En revanche, la micro-faune benthique est peu affectée par la crise, de même que les microfossiles non carbonatés comme
les radiolaires ou les diatomées.
Carotte dans le Golfe du Mexique, site ODP 1001 Niveau d'argilite entre deux niveaux calcaires Source : ODP |
Réduction de l'abondance et de la taille des assemblages planctoniques Source : Norris et al 1999, Gardin, données non publiées |
Deux observations de la crise K/T (programme ODP = Oceanic Deep Program) |
En conclusion, on peut dire que les microfossiles nous indiquent que la crise est due à un phénomène qui s'est produit rapidement mais dont les effets se sont prolongés dans les premiers millions d'années du Paléocène. Si des extinctions coïncident avec le niveau d'impact, le temps de rétablissement très long implique nécessairement d'autres facteurs tels le volcanisme paroxysmale du Deccan, les variations du niveau de la mer, les changements paléocéanographiques dus à l'ouverture de l'Atlantique Nord, etc.
Nous remercions notre conférencière qui a présenté son domaine de recherche avec beaucoup de passion
et nous l'applaudissons très chaleureusement.
Quelques références et liens internet