Rechercher les origines de la Vie dans l'Univers

Jean-Marc Valère



Jean-Marc Valère est un jeune diplômé en Géologie et membre de la SAGA. Pour cette deuxième conférence qu'il donne à notre association, il a choisi un sujet difficile qui recouvre diverses disciplines comme la biochimie ou l'exobiologie. Son objectif n'est pas de détailler les dernières découvertes dans ces domaines, mais de nous donner un aperçu sur les trois grandes questions suivantes : qu'est-ce-que la Vie ? Comment la Vie est apparue sur Terre ? La Vie existe-elle ailleurs que sur Terre ?

Introduction : un bref rappel sur la cellule

Si l'origne de la Vie est encore largement incomprise, il y a consensus pour admettre que la plus petite unité du monde vivant est la cellule. Une cellule d'Eucaryote est limitée par une membrane (constituée essentiellement de lipides) perméable et entourant le cytoplasme. A l'intérieur, des organites spécialisés (noyau, mitochondrie, chloroplaste, etc.) sont le siège de réactions chimiques générées par l'activité de deux types de macromolécules, les protéines et les acides nucléiques.

Les protéines sont des polymères d'acides aminés. Les AA sont des molécules constituées d'un atome de carbone central entouré d'une fonction acide (-COOH), d'un groupement amine (-NH2), d'un atome d'hydrogène et d'un groupement variable (R). Mis à part la glycine, les AA sont des molécules chirales se présentant sous deux formes symétriques (L = lévrogyre et D = dextrogyre), images l'une de l'autre dans un miroir. Il existe un très grand nombre d'acides aminés, mais il n'y en a que 20 qui entrent dans la composition des protéines et ils sont tous dextrogyres. Les protéines ont de nombreuses fonctions dans le métabolisme de la cellule, notamment celles de catalyseurs.

Les acides nucléiques sont des polymères de nucléotides. Les nucléotides sont des molécules chirales et sont constitués de trois éléments fondamentaux : un sucre + un groupe phosphate + une base azotée (adénine, guanine, cytosine, uracile, thymine). On distingue l'ADN et l'ARN :





Les 20 acides aminés


Structure de l'ADN

Les êtres vivants sont regroupés en trois grandes familles correspondant à des natures différentes de cellules : les Eucaryotes (= cellules avec noyau), les Eubactéries (= cellules sans noyau) et les Archébactéries (= bactéries extrêmophiles, vivant dans des milieux particuliers, par exemple très salés ou acides, ou soumis à une forte pression ou une température élevée). Ces familles sont considérées comme monophylétiques, leur hypothétique ancêtre commun étant désigné par l'acronyme LUCA (= Last Universal Common Ancestor).

Qu'est-ce que la Vie ?

La Vie est un de ces concepts fondamentaux particulièrement difficiles à définir. Les réponses, dépendant des connaissances et des croyances de l'époque ont été extrêmement nombreuses et variées au cours de l'histoire. Pour en donner une idée, on se limitera à quelques exemples :

Notons que ces définitions laissent de côté les virus, organismes disposant d'un génome, mais incapables de se répliquer hors des cellules qu'ils infectent.

La naissance de la Vie sur Terre

Cette question a également fait l'objet de réponses extrêmement variées. Pendant longtemps, on s'est référé aux croyances religieuses pour expliquer la Vie par une génération spontanée à partir de la matière inerte. De nos jours, on est évidemment surpris que des esprits aussi rationnels que Newton ou Descartes souscrivaient à cette idée, mais il fallut attendre les expériences de Pasteur (1860) mettant en évidence la stérilisation pour qu'elle soit définitivement abandonnée par le monde scientifique.

Jusqu'au début du XIXe siècle, on a cru que les molécules organiques possédaient une force mystérieuse, la « force vitale », qui caractériserait le Vivant. Puis, les chimistes ont réussi à synthétiser certaines de ces molécules sans utiliser d'organisme vivant, ce qui a fait émerger l'idée que la Vie était née du monde inanimé. Parmi les pionniers dans ce domaine, on peut retenir :

Plus près de nous, Joan Oro, un chimiste espagnol (1923-2004), a réussi en 1961 à synthétiser une des bases azotées des acides nucléiques, l'adénine à partir de l'acide cyanhydrique.

Si la synthèse de nombreuses molécules organiques montre le lien entre le monde inanimé et le vivant, elle n'explique pas l'origine du monde vivant sur notre planète. Trois sources de Vie terrestre ont été proposées : l'atmosphère terrestre et les océans (la soupe prébiotique), l'espace, les sources hydrothermales.

La soupe prébiotique

Charles Darwin est évidemment essentiellement connu pour sa théorie de l'évolution par la sélection naturelle, mais ses travaux l'amenèrent à réfléchir également à la question de l'apparition de la Vie sur Terre. Il énonça l'hypothèse de l'origine unique du monde vivant et émit l'idée d'une « petite mare chaude » où les conditions auraient pu être favorables à la génération de molécules susceptibles de donner naissance à des organismes vivants.

Dans les années 1920, un chimiste russe, Alexandre Oparine (1894-1980), a conceptualisé l'idée de Darwin de manière plus précise dans son livre L'origine de la Vie. Il imagine que les conditions des océans primitifs ont pu engendrer une succession de molécules organiques de plus en plus complexes, aboutissant à la Vie. Il choisit d'abord l'hypothèse d'un environnement oxydé, puis, dans une seconde édition, celle d'un environnement réducteur.

Indépendamment des travaux d'Oparine, le chimiste anglais John Haldane(1892-1964) émit en 1929 une hypothèse très voisine. Mais il fallut attendre les années 1950 pour passer à l'expérimentation de la soupe prébiotique.



Schéma du dispositif
Source : Wikimedia Commons, Savant-fou


Atmosphère et océan primitifs terrestres
Source : Université de Lyon
Expérience de Miller / Urey

En 1953, deux Américains, Stanley Miller, biologiste (1930-2007) et Harold Urey, chimiste (1893-1981), firent une expérience célèbre qui simulait ce que l'on pensait être les conditions terrestres primitives après formation de la croûte : une atmosphère réductrice et un océan chaud. Ils ont chauffé un ballon d'eau (l'océan) qui communiquait avec un mélange de gaz (l'atmosphère = méthane, ammoniac, hydrogène, vapeur d'eau) soumis à des décharges électriques. Au bout d'une semaine d'expérience, ils ont obtenu un grand nombre de molécules organiques, en particulier 13 acides aminés présents dans les cellules.

Cette expérience eut un grand retentissement dans le monde scientifique : elle montrait que des molécules prébiotiques pouvaient se synthétiser spontanément dans certaines conditions et elle promut la notion de « soupe primitive ». Mais elle fut également très critiquée par certains chercheurs qui estimaient notamment que l'atmosphère terrestre primitif était moins réductrice (plus riche en dioxyde de carbone et moins en méthane et hydrogène) que ne l'avait supposé Miller. Une expérience comparable a été réalisée en milieu plus oxydant, mais elle génèra beaucoup moins de molécules organiques.

L'espace

L'hypothèse de la panspermie a été émise en 1906 par Svante Arrhenius, chimiste suédois (1859, 1937). Selon cette théorie, la Vie serait arrivée sur Terre sous forme de spores, poussés par les vents solaires. L'idée, maintenant réfutée, était étayée par la découverte de la pression de radiation des flux lumineux.

Cependant, la découverte de nombreuses molécules organiques dans les météorites et les comètes ont remis à l'ordre du jour l'idée d'une Vie terrestre venant de l'espace.

En 1969, la météorite de Murchison est tombée en Australie ; c'était une chondrite d'une centaine de kilogrammes, datée de 4,6 Ga. David Deamer en a fait une analyse poussée et y a découvert de nombreux composés organiques : 75 acides aminés (dont 8 présents dans la matière vivante) et des purines et pyrimidines, bases de l'ADN et de l'ARN.

Plusieurs sondes spatiales se sont approchées de comètes, de planètes ou de leurs satellites et ont permis d'identifier des éléments de leur atmosphère. Exemples :

Parallèlement à ces missions spatiales, on a expérimenté la génération de molécules organiques en simulant un milieu interstellaire de comète et on a trouvé un nombre impressionnant de molécules organiques.



Schéma d'un mont hydrothermal
Source : Wikimedia Commons, Savant-fou

Les sources hydrothermales

Les fumeurs noirs ont été découverts dans les années 1970 au niveau des dorsales océaniques, à 2 500 mètres de profondeur (250 bars). Ce sont des cheminées d'une vingtaine de mètres de hauteur par où s'échappe un fluide à température élevé (~ 400 °C) constitué de monoxyde et dioxyde de carbone, d'hydrogène, de silicium et de métaux (manganèse, fer, zinc). L'exploration de ces environnements a montré la présence d'une vie luxuriante : bactéries et archées (souvent extrêmophiles) et macrofaune endémique.

Günter Wächtershäuser, un chimiste allemand (1938-) a émis l'hypothèse que de tels environnements (haute pression et température, présence de monoxyde et dioxyde de carbone, hydrogène sulfuré, sulfure de fer) pourraient être à l'origine de la Vie sur Terre. A titre d'exemple, on peut indiquer l'équation suivante produisant une « molécule prébiotique » : 4 CO2 + 7 H2S + 7 FeS → (CH2-COOH)2 + 7 FeS2 + 4 H2O

Existe-t-il de la Vie ailleurs que sur Terre ?

L'exobiologie (parfois appelée astrobiologie) a pour objet l'étude de la Vie dans l'Univers : ses origines, sa distribution, son évolution et les structures et les processus liés à la Vie. C'est un domaine pluridisciplinaire.

Une des approches consiste à rechercher des planètes gravitant autour d'étoiles en dehors de notre système solaire. La première exoplanète a été identifiée dans les années 1990, mais la recherche en ce domaine a considérablement progressé dans les vingt dernières années et on en compte de nos jours près de 2 000.

Parmi ces planètes, un petit nombre se situent dans une « zone d'habitabilité », c'est-à-dire un espace ayant au moins les conditions suivantes : présence de l'eau à l'état liquide, une lithosphère, une attraction gravitationnelle retenant une atmosphère, une source d'énergie suffisante. La dernière découverte d'une planète candidate à la vie date d'avril 2014 et est due au télescope spatial Kepler de la NASA. Il s'agit de la planète Kepler 186f qui se trouve à 0,35 unité-astronomique (= 0,35 distance Soleil-Terre) de l'étoile Kepler 186, une naine rouge située à 490 années-lumière. Cette étoile est plus petite et moins chaude que le Soleil et la planète pourrait être dans une zone potentiellement habitable, mais cela reste à confirmer.

On peut également mentionner certains programmes encore plus ambitieux qui sont à la recherche de civilisations capables de communiquer avec nous. Franck Drake, un astronome américain (1930-), proposa une formule qui, à partir de sept paramètres, permet de calculer la probabilité d'existence d'extraterrestres dans notre galaxie. Mais il est pratiquement impossible de valoriser ces paramètres ; la formule reste théorique et n'apporte pas vraiment de réponse à la question posée.

Des projets explorent cependant cette voie ; tel est le projet SETI = Search for Extra-Terrestrial Intelligence qui a pour but de rechercher des signaux artificiels sous forme d'ondes radios.

En guise de conclusion

Malgré les progrès des dernières décennies, les origines de la Vie restent à ce jour largement inconnues :

Signalons enfin que certains chercheurs élargissent le problème en émettant l'hypothèse qu'il pourrait exister des formes de Vie radicalement différentes de notre Vie terrestre, basées par exemple sur le silicium et non le carbone, ou une chiralité lévrogyre et non dextrogyre.

Quelques liens pour approfondir le sujet de la conférence :