Paléobotanique : mémoire végétale des roches sédimentaires

Jean Dejax



Jean Dejax est maître de conférences au Muséum national d'Histoire naturelle et paléo-palynologue. Plusieurs membres de la SAGA le connaissent déjà, certains ont fait appel à lui pour déterminer leurs trouvailles, d'autres ont suivi ses cours de botanique au MNHN. Dans cette conférence, il aborde plusieurs aspects de la paléobotanique : son histoire, les méthodes utilisées, l'évolution des plantes, et bien sûr la paléo-palynologie qui est sa spécialité.

La naissance de la paléobotanique

La paléobotanique est la branche de la paléontologie qui étudie les fossiles de plantes, elle est aux végétaux ce qu'est la paléozoologie aux animaux. Les fossiles, témoins d'organismes vivants et maintenant disparus étaient déjà connus des Grecs de l'âge classique, mais ils ont été longtemps limités aux animaux, et même essentiellement aux coquillages. Les fossiles végétaux ont été observés beaucoup plus tard et il faut attendre le début du XVIIIe siècle pour voir les premières planches représentant des plantes fossiles. On peut citer deux ouvrages et deux auteurs pionniers : « Silesia subterranea », publié en 1720 par le géologue allemand Georg Anton Volkmann et « Herbarium diluvianum » (1723) du naturaliste suisse Johann Jakob Scheuchzer.



Planche XIII du « Silesia subterranea »
Georg Anton Volkmann



Planche II « Herbarium diluvianum »
Johann Jakob Scheuchzer

Un siècle plus tard, Alexandre Brongniart (1770-1847), le fils de l'architecte, a été amené à travailler pour les mines de charbon et a fait une analyse plus scientifique des végétaux fossiles. Dans son ouvrage « Notice sur les végétaux fossiles traversant les couches du terrain houiller », il analyse une forêt fossile pétrifiée dégagée dans la mine de houille du Treuil, près de Saint-Etienne. Si ses conclusions ne sont pas toutes exactes, il a reconnu la présence d'arbres fossiles conservés en place et mis en évidence le phénomène sédimentaire qui a formé le gisement. Ses travaux ont été prolongés par son fils, Adolphe Brongniart (1801-1876) qui est considéré comme le fondateur de la paléobotanique. Professeur de botanique au MNHN, il a essentiellement travaillé sur les fossiles végétaux que les mineurs récoltaient dans les mines et a constitué un important fonds de végétaux du Carbonifère et du Permien, toujours conservé au Muséum. Un de ses livres majeurs est l' « Histoire des végétaux fossiles : Recherches botaniques et géologiques sur les végétaux renfermés dans les différentes couches du globe ».

Cyrille Grand'Eury (1839-1917) est un autre père de la paléobotanique. Il a passé une grande partie de sa vie dans les mines, a dessiné précisément les différents niveaux et identifié les végétaux qu'ils contenaient. Il a amélioré la détermination des espèces, décrit le processus de subsidence qui permet la formation des bassins sédimentaires et créé la paléobotanique stratigraphique qui établit le lien entre les espèces et les niveaux stratigraphiques. A son époque, le rôle économique du géologue et du paléobotaniste était reconnu dans l'exploitation des mines de charbon, leur compétence était particulièrement indispensable pour rechercher les couches lorsqu'elles étaient interrompues par des failles.

Pour terminer ce bref historique, on peut citer deux autres noms de paléobotanistes français, Gaston de Saporta (1823-1895) et Bernard Renault (1836-1904).



« Notice sur les végétaux fossiles traversant
les couches du terrain houiller
 » - mine du Treuil
Alexandre Brongniart



« Recherches géobotaniques sur les forêts et sols
fossiles et sur la végétation et la flore houillères
 »
Cyrille Grand'Eury

Méthodes utilisées en paléobotanique

Quelles méthodes sont utilisées par les paléobotanistes pour étudier les fossiles végétaux ? Pour répondre à cette question, Jean Dejax développe deux exemples, l'étude du bois et de l'épiderme.

Etude du bois fossile

Le bois fossile est le plus souvent silicifié : un minéral (en général un silicate) a remplacé la substance organique en conservant la structure initiale du bois, parfois jusqu'au niveau de la cellule. Pour étudier le bois silicifié, on utilise le même principe que pour étudier un bois actuel qui consiste à faire des coupes selon trois plans perpendiculaires : plan transversal, radial et tangentiel. La méthode consiste à fabriquer des lames minces de 30 µm d'épaisseur (comme en pétrologie) dans ces plans et à les observer au microscope. La comparaison avec les cellules des végétaux actuels permet de déterminer le groupe du fossile analysé.

Etude de l'épiderme fossile

La cuticule est une couche protectrice qui recouvre les organes aériens des végétaux terrestres. On peut l'isoler par prélèvement chimique, et étudier ainsi la couche superficielle des cellules d'un végétal. Cette analyse apporte toujours un grand nombre de renseignements : elle permet d'identifier les espèces sur des critères cellulaires, d'effectuer des corrélations entre organes isolés et d'induire le paléoclimat du végétal. A titre d'exemple, on peut citer l'épiderme d'Aglaophtyton major où l'on observe des stomates, cellules en forme de rein, contrôlant les flux gazeux dans le végétal et qui prouvent la nature terrestre de cette plante du Dévonien.



Le cube des trois "plans principaux"
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Plan tangentiel
Taxodioxylon gypsaceum


Stomates d'Aglaophyton
Source : Université de Münster

Un aperçu de l'évolution des plantes

Il ne s'agit pas ici de faire une présentation détaillée de l'évolution du monde végétal, mais de donner une idée des grandes étapes de l'histoire des végétaux terrestres (Embryophytes). On peut rappeler que les plantes ont colonisé la terre ferme avant les animaux ; dans un premier temps, elles sont restées proches des rivages marins ou lacustres, les autres espaces demeurant minéraux, sans aucune matière organique. Elles se sont affranchies progressivement du milieu aqueux et se sont diversifiées en mettant en oeuvre des processus de reproduction de plus en plus efficaces qui leur ont permis de s'installer dans des zones climatiques très variées.



Diversification des Embryophytes


Affranchissement progressif
de la dépendance du milieu aquatique

Les Rhyniophytes sont apparus au Silurien supérieur. Cooksonia, découverte au Pays de Galle, datée de 425 Ma, est la plus ancienne plante terrestre connue. Mais c'est le chert de Rhynie qui a livré le plus grand nombre de ces plantes primitives en parfait état de conservation. Ces végétaux n'ont ni racine, ni feuille, et sont de faible hauteur. Leurs tiges sont dichotomiques et portent des sporanges à leur sommet. L'analyse au niveau cellulaire a permis de mettre en évidence des composants que l'on retrouve dans les végétaux actuels : stomates, tétrades de spores, tissus vasculaires.



Section et allure générale de Rhynia


Sporange d'Aglaophyton
Deux végétaux du site de Rhynie (410 Ma)
Source : Université de Münster

L'apparition du cambium est une évolution majeure qui s'est produite au Dévonien. Le cambium est une couche de cellules qui génère le xylème (bois) côté intérieur du tronc et le phloème (liber) côté extérieur. Ces tissus assurent la vascularisation et la lignification de la plante, ce qui lui permet de se développer en hauteur. Les grandes forêts du Carbonifère et du Permien sont constituées de plusieurs familles ayant cette structure :

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Calamites
Source : J. Dejax
Catalogue exposition MNHN "Les Ages de la Terre"


Lepidodendron et Sigillaria
Source : J. Dejax
Catalogue exposition MNHN "Les Ages de la Terre"


Psaronius
Source : Wikimedia Commons, Jeanne Morgan


Paysage de forêt du Carbonifère
Source : Académie de Montpellier, lithothèque

Les Préspermaphytes, ou fougères à ovules, constituent un groupe intermédiaire entre les fougères et les plantes à graines (Spermaphytes). Elles présentent l'aspect des fougères à spores tout en ayant un cycle de reproduction très différent : l'ovule, appareil reproducteur femelle, est fécondé par un grain de pollen, mais ne produit pas une vraie graine contenant un embryon et des réserves nutritives. Cette innovation représente un perfectionnement dans le processus de reproduction qui a été repris par la majorité des plantes terrestres qui ont succédé aux fougères. Le groupe des fougères à ovules a cependant disparu à la fin de l'ère Primaire. Exemples de fougères à ovules :





Feuille de Glossopteris, Permien


Feuille de Zamites, Jurassique

La dernière innovation importante du monde végétal est celle de la graine chez les Spermaphytes. Elle s'est faite en deux temps :

La paléo-palynologie

Le terme paléo-palynologie est formé à partir du grec : paleios = ancien, palè = poussière, farine, logos = parole, discours. Cette discipline, au carrefour de la géologie sédimentaire et de la botanique, étudie des fossiles dits palynomorphes, caractérisés par leur petite taille (5 à 500 µm = 0,005 à 0,500 mm) et leur nature organique. Les palynomorphes d'origine continentale sont essentiellement des spores et des grains de pollen, ceux d'origine marine, des dinoflagellés et des acritarches. Les microfossiles à nature minérale comme les coccosphères et les diatomées (dont l'accumulation forme la craie et la diatomite) sont exclus de la paléo-palynologie.

Les palynomorphes sont constitués de molécules très résistantes, généralement de sporo-pollénine, de dinosporine ou de chitine. Dans la pratique, ces fossiles sont extraits par voie physico-chimique de certaines roches sédimentaires, principalement le charbon et l'argile. La préparation fait appel à un protocole rigoureux :

Jean Dejax donne un exemple d'une préparation venant d'un sédiment du Crétacé inférieur où l'on observe très nettement des grains de pollen d'environ 60 µm et datés de 55 millions d'années.



Une lame palynologique à faible grossissement
Photo J. Dejax


Spore trilète canaliculé de Cicatricosisporites
Photo J. Dejax

La paléo-palynologie est intéressante à plusieurs égards : elle permet de reconstituer les paléo-environnements, dater les sédiments et établir des corrélations entre bassins sédimentaires. Elle est très utilisée dans la recherche pétrolière.

La paléo-palynologie de l'ambre est un cas particulier particulièrement intéressant. L'ambre est une résine fossilisée qui peut conserver des inclusions comme des débris végétaux, des grains de pollen ou des insectes. Une manipulation (assez) délicate permet d'extraire les grains de pollen et de les monter entre lame et lamelle pour les observer au microscope optique ou sur un plot pour les observer au microscope électronique à balayage. C'est ce qui a été fait au Muséum sur des échantillons d'ambre trouvés dans l'argile noire du Quesnoy (Oise) datée de l'Eocène (55 Ma). Les grains de pollen ont été rapprochés de ceux du tilleul actuel et d'Intratriporopollenites, un genre trouvé en Chine. L'intérêt de ces préparations est que les grains ont conservé leur forme (ils ne sont pas écrasés comme ceux qu'on récolte dans un sédiment) et l'absence de bactéries a préservé la matière organique à l'intérieur des grains.



Pollen du Quesnoy (Oise, Eocène)
Photo J. Dejax


Intratriporopollenites
Photo J. Dejax

Conclusion

Deux remarques pour terminer cette brève présentation de la paléobotanique.

Les paléozoologistes dénomment les fossiles par un nom de genre et un nom d'espèce. Si cette règle est parfaitement compréhensible pour les organismes actuels, elle semble parfois discutable, surtout lorqu'on ne connaît qu'une très petite partie du fossile (certains rongeurs ne sont connus que par une seule dent !). Le problème s'est posé d'emblée aux premiers paléobotanistes qui ne récoltaient le plus souvent que des morceaux de végétaux (écorce, racine, feuilles) et ils ont préféré utiliser des nomenclatures morphologiques, construites avec la même règle « genre + espèce » mais qui désignent des parties d'organisme, et non des organismes complets. Exemple : au sens strict, Psaronius brasiliensis désigne une espèce de stipe (stipe = tronc d'une fougère) et c'est par abus de langage qu'on utilise cette terminologie pour nommer l'espèce de fougère qui lui correspond. La même remarque peut s'appliquer à un grand nombre d'autres genres, Lepidodendron, Sigillaria, etc..

La paléobotanique est restée longtemps absente de la Galerie de Paléontologie du Muséum. Cette anomalie est réparée depuis quelques mois et 23 vitrines y sont maintenant consacrées. L'exposition présente certains des plus beaux échantillons du MNHN et des illustrations très didactiques comme les cycles de reproduction des végétaux. Jean Dejax a participé à l'élaboration de cette exposition et nous encourage à la visiter.

Ce compte rendu n'a pas été revu par le conférencier.

Quelques liens pour approfondir le sujet :