Marc Godinot est Directeur d'Etude à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, paléontologue, spécialiste des
Mammifères du début du Tertiaire, en particulier de l'évolution des Primates. Ses travaux l'ont amené à voyager en Chine,
à cotoyer des chercheurs chinois, et à s'intéresser à l'histoire de la paléontologie dans ce pays. Il en brosse ici un tableau général,
allant de la culture traditionnelle à nos jours.
En paléontologie comme dans beaucoup d'autres domaines, la Chine a longtemps été en avance sur l'Occident. La culture traditionnelle chinoise n'a en effet jamais cru à la fixité des espèces. Elle concevait la nature dans une chaîne infinie du temps, ce qui laissait la place à la notion d'évolution.
Joseph Needham (1900-1995), un historien des sciences et sinologue anglais décrit ainsi un texte qui date du IVe siècle avant JC : « On trouve un exposé net de la transformation évolutionniste dans un célèbre passage du Huang Zi, bien que plusieurs des espèces qui y sont mentionnées ne soient pas identifiables aujourd'hui. Nous trouvons également dans ce livre une conception des changements biologiques comme adaptations à des environnements particuliers, ainsi qu'une esquisse de l'idée de sélection naturelle, dans les passages qui soulignent les avantages d'être inutile [à des prédateurs] ».
On ne peut détailler ici les idées de tous les intellectuels et sages chinois qui se sont exprimés sur la nature pendant la longue histoire de la Chine. Pour résumer, on retiendra une seconde citation de J. Needham : « ... C'est ainsi que bien longtemps avant l'époque darwinienne, le naturalisme évolutionniste fut très nettement établi par les philosophes chinois. Mais, plutôt qu'une seule série évolutive, ces philosophes considéraient une succession complète de développements génétiques. »
Les premiers fossiles chinois, mis à la disposition des paléontologues professionnels étaient achetés par des voyageurs dans des boutiques d'apothicaires (ceux-ci en faisaient un commerce, principalement pour les réduire en poudre et les utiliser en pharmacopée chinoise). On ignorait leur origine précise, ce qui limitait considérablement l'étude que l'on pouvait en faire. Les choses ont changé progressivement, lorsque des savants naturalistes européens se sont déplacés en Chine. Dans cette période, on retiendra trois noms : le Père David, Max Schlosser et Teilhard de Chardin.
Le Père David (1826-1900) était un missionnaire lazariste français, zoologiste et botaniste. Il a passé une douzaine
d'années en Chine et il est surtout connu pour sa découverte d'un cervidé
(appelé couramment Cerf du Père David) qui ne vivait à l'époque qu'en Chine et en captivité.
Au cours de ses voyages, il a récolté de nombreux fossiles (plantes et animaux, en particulier des mammifères et des
poissons) qu'il envoyait au Muséum de Paris où ils étaient étudiés par les meilleurs paléontologues de l'époque comme
Albert Gaudry, professeur au MNHN et fondateur de la Galerie de Paléontologie et d'Anatomie comparée.
Lycoptera davidi découvert par le Père David Source : Sauvage, Bulletin Société Géologique de France 1880, Série 3 : 451-454 |
Une planche de la monographie de Max Schlosser sur les mammifères fossiles de Chine Source : Abhandlungen der Kayserliche Bayerische Akademie Münche |
Max Schlosser (1854-1933) était un paléontologiste allemand, conservateur et professeur au muséum de Munich. Il a beaucoup étudié les fossiles de la Bavière mais n'a pas été lui-même en Chine ; en revanche, il a étudié la collection que le Docteur Haberer y a rassemblé et qu'il a donnée au musée paléontologique de Munich. Il a publié une grande monographie sur les mammifères fossiles de ce pays et a trouvé de nouvelles espèces comme Rhinoceros Habereri.
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) était un jésuite, théologien et philosophe, également excellent géologue et paléontologue. Ordonné prêtre en 1911, il commence sa carrière de paléontologue en 1912 auprès de Marcellin Boule (professeur de paléontologie au MNHN) et s'intéresse aux mammifères paléogènes d'Europe. En 1925, il part en Chine rejoindre le Père Emile Licent, un autre jésuite, bon naturaliste, qui avait rassemblé des collections d'histoire naturelle diverses (insectes, plantes, animaux, pierres, fossiles, etc.) et créé le musée de Tientsin. Il revient en France en 1926, est interdit d'enseignement par sa hiérarchie religieuse, et repart en Chine. Il y réside de manière pratiquement permanente jusqu'en 1949 tout en effectuant également un grand nombre de voyages d'étude dans d'autres pays. Il meurt en 1955 à New-York, le jour de Pâques.
En Chine, il collecte des fossiles dans plusieurs régions et dans des formations très diverses qui vont du Carbonifère au
Pliocène. Le grand paléontologue américain Henry Osborn qui écrit une note sur les travaux de Teilhard
de Chardin compte 21 sites explorés. Les spécimens sont étudiés au MNHN ou au Musée de Tientsin.
Il découvre de nombreuses nouvelles espèces de mammifères comme Gazella sinensis, Spirocerus wongi,
Cervus boulei, Cervus elegans, et bien d'autres... Ces découvertes sont publiées dans les Annales de Paléontologie.
Trois planches du Mémoire de Teilhard de Chardin et Piveteau Les Mammifères fossiles de Nihowan (1930) Source : Annales de Paléontologie, tome XIX |
Si au début du XXe siècle, le rôle des occidentaux a été essentiel dans la paléontologie chinoise, la Chine a rapidement créé des institutions nationales qui se sont progessivement développées. On peut par exemple citer le Geological Survey of China (auquel participe d'ailleurs Teilhard de Chardin) qui publie la revue Palaeontologia Sinica ou l' Institute of Vertebrate Paleontology and Paleoanthropology (IVPP) qui a longtemps centralisé toutes les recherches sur les Vertébrés. Mais il faut reconnaître que ce développement a été très irrégulier ; la paléontologie, science bourgeoise, a notamment beaucoup souffert pendant la Révolution culturelle (1966-1976).
Après la mort de Mao, un grand nombre d'institutions, d'universités et de musées ont été créés et ont participé à l'émergence d'une école de paléontologues chinois très compétents. Marc Godinot souhaite en particulier citer le nom du professeur Chow Minchen, spécialiste des Vertébrés, qui a eu un rôle particulièrement important dans l'essor de la paléontologie chinoise. Depuis une trentaine d'années, cette école a fait des découvertes importantes, régulièrement publiées dans les revues scientifiques occidentales. Nous citerons les découvertes du Précambrien/Cambrien et celles du bassin de Jéhol qui datent du Jurassique/Tertiaire.
Plusieurs sites de cette période sont d'un niveau international, notamment deux Lagerstätten, Doushantuo et Chengjiang.
La formation de Doushantuo est située au sud de la Chine, dans la province de Guizhou et est réputée pour la qualité de ses fossiles de l'Ediacarien (dernière période du Précambrien), datés de 590 à 565 Ma. Plusieurs d'entre eux ont fortement intéressé les paléontologues, comme d'hypothétiques embryons ou Eoandromeda, un fossile en forme d'une spirale (telle une galaxie, d'où son nom), probablement de la famille des Cténophores.
Le site de Chengjiang est également au sud de la Chine, dans la province de Yunnan. Les schistes, découverts en 1984, ont parfaitement conservé une faune du début du Primaire, datée de 525 Ma, comparable à celle des schistes de Burgess, mais un peu plus ancienne puisque celle-ci est datée de 505 Ma. Plusieurs spécimens ont permis de compléter notre vision de « l'explosion cambrienne ». A titre d'exemple, Marc Godinot mentionne :
Formation de Doushantuo : Eoandromeda |
Site de Chengjiang : Microdictyon sinicum |
Source : The Cambrian Explosion, D H Erwin et J W Valentine, 2013, Roberts and Company, Inc. |
Ce qu'on pourrait appeler la « Province de Jehol » est une vaste région de l'Est de la Chine qui s'étend sur quelques centaines de kilomètres dans la province de Liaoning et dans les provinces voisines du Hebei et de Jilin. Elle comporte une série de bassins datés du Jurassique-Crétacé, Crétacé et Tertiaire. La richesse fossilifère de cette région avait été repérée par les savants japonais, avant la Seconde Guerre mondiale, mais c'est à partir des années 1990 que l'on y a fait d'importantes découvertes.
Plusieurs sites sont de réputation internationale, comme les formations de Jiufotang, Yixian ou Séhol.
La qualité des fossiles et leur diversité sont impressionnantes.
Rehezamites anisolobus |
Elatocladus leptophyllus |
Archaefructus liaoningensis |
Quelques plantes du Jéhol : de gauche à droite une fougère, un conifère, un angiosperme Source : The Jehol Fossils, (M Chang ed), Elsevier - Academic Press, Copyright 2003, 2008 Shanghai Scientific and Technical Publishers (permission par Elsevier, Oxford) | ||
Les découvertes sur les dinosaures à plumes et les oiseaux sont probablement celles qui ont été les plus médiatisées, on peut citer les spécimens suivants :
Sinosauropteryx prima |
Caudypteryx zoui |
Un couple de Confuciusornis (mâle et femelle ?) |
Liaoxiornis delicates |
Source : The Jehol Fossils, (M Chang ed), Elsevier - Academic Press, Copyright 2003, 2008 Shanghai Scientific and Technical Publishers (permission par Elsevier, Oxford) | |
Le temps presse et Marc Godinot n'a pratiquement plus le temps d'aborder les Mammifères du Mésozoïque, triconodontes, multituberculés et symmétrodontes. A Jéhol, on a découvert des crânes et des squelettes parfois entiers de ces fossiles qui n'étaient précédemment souvent connus que par leur dentition ; on devine l'impact de ces découvertes dans le monde des paléontologues spécialisés dans ce domaine.
Pour terminer, il tient cependant à mentionner un exemple qui lui tient particulièrement à coeur, Teilhardina asiatica.
Il s'agit d'un Primate primitif, dont le genre est connu en Europe et en Amérique du Nord depuis le début du XXe siècle.
Le crâne découvert dans la province du Hunan il y a une dizaine d'années est le premier spécimen du genre trouvé en Chine,
cette découverte a été un élément majeur dans l'étude de l'évolution et de la radiation des premiers Primates.
Teilhardina asiatica Source : A euprimate skull from the early Eocene of China X. Ni, Y. Wang, Y. Hu, C. Li, Nature 427, 65-68, January 2004 |
Présenter la paléontologie en Chine depuis ses origines à nos jours en une conférence est une véritable gageure car le sujet est immense. Marc Godinot nous a fait découvrir des aspects peu connus de l'histoire de la paléontologie et il nous a également largement montré que la Chine est devenue un acteur majeur de la recherche dans cette discipline. Nous le remercions très chaleureusement et espérons le revoir prochainement dans nos conférences.
Quelques liens internet sur le thème de la conférence :