Des reptiles dans les ruffes ?
Enquête sur le Lodévois avant les dinosaures

Jocelyn Falconnet



Jocelyn Falconnet est un jeune paléontologue du Muséum, auteur d'une thèse sur les Amniotes et spécialiste des vertébrés de la fin du Paléozoïque. Dans cette conférence, il nous parle de ces fossiles : où et comment les trouve-t-on ? à quoi ressemblent-ils ? quels liens ont-ils avec les tétrapodes modernes ?

Quelques rappels sur le Permien, le Lodévois et les Amniotes

Dernière période du Paléozoïque, le Permien se situe après le Carbonifère et avant le Trias. Il couvre une cinquantaine de millions d'années (de - 299 à - 251 Ma) que l'échelle stratigraphique divise en trois époques (Cisuralien, Guadalupien, Lopingien) et que l'on peut, en simplifiant, appeler Permien inférieur, moyen et supérieur. La fin du Permien correspond à la plus grande crise du monde vivant que la Terre ait connue, supérieure par ses effets à celle du Crétacé / Tertiaire.

Les terres émergées formaient alors un grand continent, la Pangée, réunion de la Laurasie au Nord et du Gondwana au Sud, séparés aux latitudes équatoriales par la chaîne varisque (hercynienne). La France, ou plutôt son territoire, faisait partie de cette chaîne, comme le montrent de nombreux affleurements fossilifères de cette période :

C'est dans ce dernier bassin que Jocelyn Falconnet a recherché des fossiles lors de sa thèse. Les formations propres à cette région sont appelées ruffes ; ce sont des pélites, sédiments très fins, argileux et gréseux, déposés sous une faible profondeur d'eau. Les oxydes de fer leur donnent une couleur rouge caractéristique, et sont à l'origine de leur nom (rufus = rouge). Des animaux terrestres se sont parfois enlisés dans ces terrains ou y ont laissé des traces de pas, d'où leur intérêt pour les paléontologues.

Le matériau est relativement friable en surface mais devient rapidement compact en profondeur, ce qui n'est pas sans poser des difficultés pour dégager des fossiles, par nature fragiles, dans une gangue résistante ; Jocelyn Falconnet nous indique la technique utilisée.

Trois étapes pour extraire un fossile (ici un pied) : consolider, dégrossir, plâtrer et sécher

Si les dinosaures sont bien connus du grand public, les animaux terrestres qui les ont précédés le sont beaucoup moins. Or, ce sont justement ces fossiles que Jocelyn Falconnet étudie. Pour les situer dans l'arbre phylogénétique des vertébrés, on peut partir du clade des Amniotes, c'est-à-dire, des tétrapodes possèdant un amnios, ou sac amniotique. L'amnios protège l'embryon des chocs et de la déshydratation, permettant ainsi la reproduction hors de l'eau. Ce clade, frère des Lissamphibiens (les vrais amphibiens), en regroupe deux autres, les Synapsides et les Reptiles :



Arbre phylogénétique simplifié des Amniotes
Les clades représentés dans le Lodévois sont entourés

Le Lodévois

Lodève est une sous-préfecture du département de l'Hérault, située à une cinquantaine de kilomètres de Montpellier. Au Sud de cette petite ville, on a trouvé plusieurs affleurements célèbres allant du Carbonifère supérieur au Permien : Graissessac, les Tuilières, Brenas.

Les houillères de Graissessac

Graissessac est connu pour ses houillères qui ont été exploitées jusqu'à la fin du siècle dernier. Au Carbonifère, le climat était équatorial humide et la végétation luxuriante, conditions favorables à la fossilisation d'une grande variété de plantes : lycophytes (sigillaires), sphénophytes (calamites), fougères, conifères.



Les quatre niveaux houillers de Graissessac
Source : Pierre Thomas, ENS de Lyon


Fougère
Collection MNHN


Conifère
Collection MNHN

L'ardoise des Tuilières

Les Tuilières sont un lieu-dit à côté de Lodève où plusieurs carrières d'ardoise ont été exploitées. La formation est constituée de pélites et est datée du Permien inférieur. De nombreux fossiles végétaux et animaux y ont été trouvés depuis le XIXe siècle. Jocelyn Falconnet décrit plus particulièrement Aphelosaurus lutevensis, un spécimen découvert au XIXe siècle, conservé au Muséum, et qu'il a étudié en détail dans le cadre de sa thèse. Le fossile mesure une vingtaine de centimètres et présente une grande partie du squelette (omoplate, bassin, dos, bras, jambe) sauf la tête et la queue. La pièce montre des traces de végétaux qui donnent des indications sur l'environnement de l'animal. Il s'agit d'un diapside (deux fosses temporales), plus précisément d'un Aréoscelidien, groupe frère des Néodiapsides. Il est probable que ce petit tétrapode ait vécu comme ses cousins lézards et iguanes actuels, courant au sol ou grimpant aux arbres.



Holotype d'Aphelosaurus lutevensis
Collection MNHN


Reconstitution
Dessin d'Alain Bénéteau

La ruffe de Brenas

Cette appellation regroupe deux formations du Permien.

Près de Saint-Julien, le niveau a fourni notamment des mâchoires de Sphénacodontidés. Ces animaux sont des synapsides carnivores qui pouvaient atteindre plusieurs mètres de long. Dans cette famille, on trouve notamment le Dimetrodon, un animal bien connu grâce à la voile qu'il portait sur le dos et qui lui permettait probablement de réguler sa température.



Reconstitution de Sphenacodon
Source : WikiCommons


Reconstitution de Dimetrodon
Source : WikiCommons

La seconde formation, près de la Lieude, est un peu plus récente. Elle recouvre notamment le site du Salagou et est caractérisée par une alternance de couches rouges et blanchâtres ou verdâtres, ces dernières correspondant à des dépôts effectués en milieu réducteur, sous un climat plus humide. On y a trouvé un grand nombre d'os épars mais pas de squelettes complets. Le site est connu pour une dalle, protégée sous un hangar, présentant plusieurs centaines d'empreintes de plusieurs espèces de Thérapsides.

Parmi les fossiles découverts à la Lieude, on peut mentionner plusieurs synapsides de la famille des Caseidés : Ennatosaurus et Cotylorhynchus. Ces animaux de plusieurs mètres de long étaient herbivores et possédaient des griffes leur permettant de fouir le sol. Ils sont caractérisés par une petite tête et un corps très massif, en forme de barrique, qui devait contenir un système digestif volumineux pour compenser leur manque d'efficacité par rapport à celui des mammifères modernes.



Empreintes de Thérapside, La Lieude
Source : Jocelyn Falconnet


Côte caudale de Cotylorhynchus, La Lieude
Source : Suzanne Jicquel, Université Montpellier 2


Reconstitution de Cotylorhynchus
Source : WikiCommons

Des ruffes ailleurs que dans le Lodévois

On trouve des ruffes sur pratiquement tous les continents et c'est avec une certaine envie que Jocelyn Falconnet mentionne le squelette entier d'un Cotylorhynchus trouvé au Texas. Plus précisément, il indique deux sites où il a eu l'opportunité de travailler :





Holotype d'Euromycter rutenus
Collection MNHN


Vertèbres dorsales d'un Paréiasaurien
Bassin de l'Argana (Maroc), Source : Jocelyn Falconnet

Pour terminer, Jocelyn Falconnet nous emmène fort loin, au Lesotho, où un squelette pratiquement complet d'un gros dinosaure du Trias a été récemment trouvé par une équipe du Muséum. Il est actuellement en cours d'étude.

Nous remercions chaleureusement notre conférencier qui a présenté avec beaucoup de pédagogie des fossiles peu connus des amateurs. Nous lui souhaitons de nombreuses fouilles et de belles découvertes dans son domaine de prédilection.

Lectures et sites web recommandés

Pour aller plus loin sur le sujet, vous pouvez consulter les livres et sites web suivants :