Philippe Janvier est Directeur du Centre de Recherche sur la Paléobiodiversité et les Paléoenvironnements, l'unité 7207 du MNHN. C'est un spécialiste des premiers vertébrés mais il s'est toujours intéressé aux formes de vie primitive. Dans cet exposé, il fait d'abord un point sur les fossiles du Paléoprotozoïque récemment découverts au Gabon, une découverte qui remet en question les hypothèses actuelles sur la vie primitive. Dans une seconde partie, il nous parle de la tomographie appliquée à la paléontologie et de ce que cette technique récente apporte au chercheur.
Ces fossiles ont été découverts en 2008 par Abderrazak El Albani, un chercheur en sédimentologie au Laboratoire Hydrasa (Université de Poitiers) ; ils ont fait l'objet de plusieurs communications, notamment d'un article dans la revue Nature du 1er juillet 2010.
Le site de la découverte est dans le bassin de Franceville, dans le sud-est du Gabon, une région étudiée depuis longtemps pour la prospection minière de manganèse et d'uranium. Les fossiles ont été trouvés dans d'une carrière, plus précisément dans une formation de black shales datée de 2,1 Ga.
Philippe Janvier nous fait part de son étonnement lorsqu'il les a observés pour la première fois. Ils pouvaient être pris pour des cavités gastrales de méduse, mais ces animaux n'existaient pas avant 600 Ma, âge totalement incompatible avec la datation des black shales.
Les spécimens mesurent plusieurs centimètres, sont de forme variable, plus ou moins allongée et plissée, et ont été conservés par pyritisation. Ils ont été analysés en détail par plusieurs équipes dirigées par le paléontologue suédois Stefan Bengtson, spécialiste de la vie précambrienne. L'étude par microtomographie X et l'analyse chimique ont fourni les indications suivantes :
L'âge des fossiles, 2,1 Ga se situe au début de la longue période pendant laquelle l'atmosphère terrestre s'est enrichi en oxygène, entre 2,4 Ga et 600 Ma (explosion cambrienne) où il atteint son niveau actuel.
Il est impossible aujourd'hui de conclure de manière définitive sur la découverte. Ces fossiles - qui semblent ne pas avoir de nom - restent une énigme et posent des questions qui remettent en cause les dates de l'évolution de la vie couramment admises. L'horloge moléculaire classique fait en effet remonter les premiers eucaryotes vers 1,6 Ga, soit 500 Ma après l'âge des fossiles du Gabon. Il y a 2,1 milliards d'années, seule l'existence d'êtres unicellulaires - en particulier des bactéries et des archées - était présumée.
La paléontologie de la vie primitive (la vie précambienne) n'en est qu'à son début et les fossiles du Gabon ne sont pas les seules énigmes qu'elle a à expliquer. A titre d'exemple, on peut citer les acritarches, des microfossiles très mal connus. Philippe Janvier est visiblement passionné par ce domaine de recherche et pense que cette branche de la paléontologie va se développer dans les prochaines décennies. Ses méthodes et techniques ne sont pas les mêmes que celles de la paléontologie classique mais, comme pour celle-ci, le rôle des paléontologues de terrain qui, par observation, récoltent les spécimens est essentiel.
Le Muséum national d'Histoire naturelle a acquis récemment un tomographe à rayonnement X. Philippe Janvier est l'initiateur et le responsable du projet. L'appareil a été installé il y a quelques mois dans les locaux du Muséum et les tests actuellement en cours sont positifs.
Ces instruments mettent en oeuvre les technologies utilisées en imagerie médicale. Ils font des coupes à l'intérieur des corps opaques à partir desquelles un traitement informatique reconstitue leur structure interne en trois dimensions. En paléontologie, la technique permet de visualiser en relief des fossiles enfouis dans une gangue ou une roche sans avoir à les dégager.
Les appareils ayant la plus hautre résolution sont couplés à des synchrotrons. Un tel appareil équipe le laboratoire de l'ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) à Grenoble.
Philippe Janvier termine la conférence en commentant plusieurs images reconstituées par tomographie. Dans certains cas, la résolution et le contraste de l'image permettent de différencier la structure de tissus mous et les clichés obtenus sont particulièrement impressionnants ; tel est le cas d'une photo de vaisseaux sanguins de Bothriolepis (un petit placoderme du Dévonien) et celle d'un cerveau de chondrichtyen du Carbonifère.
Biographie recommandée : La vie invisible, les trois premiers milliards d'années de l'histoire de la vie sur Terre, Bernard Teyssèdre, L'Harmattan, Paris.
![]() Les fossiles en place |
![]() Images reconstituées par tomographie |
![]() Tomographe à rayonnement X |