Volcanisme et environnement

Jean-Christophe Sabroux



Jean-Christophe Sabroux est ingénieur à l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), mais son expertise ne se limite pas aux questions du nucléaire et il a longtemps travaillé au CNRS et au Commissariat à l'étude et à la prévention des risques naturels majeurs sous la direction de Haroun Tazieff. C'est à l'occasion d'une conférence intitulée « Volcans et activité volcanique : une histoire de panaches » donnée à Paris en 2013 que nous avons fait sa connaissance. Nous sommes heureux de l'accueillir aujourd'hui pour cet exposé où il nous parle des phénomènes volcaniques et de leur impact sur l'environnement.

Les panaches

L'image la plus commune d'un volcan est sans doute celle d'une montagne qui fume. Les volcans dits actifs sont le plus souvent calmes, sans émission ou avec des émissions de faible débit. Par contre, les éruptions se signalent par des panaches qui peuvent s'élever jusqu'à la tropopause, au sommet de la troposphère et à la limite inférieure de la stratosphère. Son altitude dépend de la latitude et varie entre 8 km aux pôles et 18 km à l'équateur. Toutefois, certaines éruptions particulièrement explosives injectent cendres et gaz dans la stratosphère, jusqu'à 25 km. Les panaches se dispersent et suivent les grands courants atmosphériques, ils restent dans l'hémisphère où ils ont été émis, nord ou sud, (sauf si le volcan est en zone équatoriale) et peuvent faire le tour de la Terre.

Pour une éruption donnée, les propriétés physiques du panache sont fonction de l'altitude : la densité et la température décroissent et le diamètre croît. La vitesse d'ascension du nuage commence par décroître, mais à partir d'une certaine altitude, la convection naturelle, due à la condensation de la vapeur d'eau, fait croître la vitesse.

Ces panaches peuvent avoir des conséquences économiques importantes notamment sur la circulation aérienne ; on se souvient de l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll qui provoqua des perturbations dans l'espace aérien européen pendant plusieurs jours. Le suivi des panaches volcaniques a fait beaucoup de progrès dans les dernières dizaines d'annés, en partie grâce aux travaux suscités par le suivi des essais nucléaires aériens et des nuages radioactifs émis lors des incidents des centrales.


Altitude de la tropopause
en fonction de la latitude



Paramètres des nuages volcaniques
en fonction de l'altitude



Panache du volcan Rabaul (Papouasie)
vu d'une navette spatiale (19/09/1994)



Panache du Mont Saint Helens (1980)

L'indice d'explosivité volcanique

Cet indice appelé généralement VEI pour Volcanic Explosivity Index a été créé dans les années 1980 et constitue une échelle des explosions volcaniques sur 9 niveaux entre 0 et 8. L'échelle est logarithmique en fonction du volume des éjectats (le volume est multiplié par 10 lorsqu'on passe d'un niveau de l'échelle au suivant). A chaque niveau, on a associé la hauteur du panache, le type de l'explosion, la fréquence de l'explosion et des exemples. Il est évident que le nombre de victimes n'est pas directement lié à cet indice, il dépend de la densité de population autour du volcan et des mesures d'évacuation qui ont été éventuellement prises avant l'explosion.

Aux deux extrémités de l'échelle, on trouve :

Exemples d'indices pour quelques éruptions historiques célèbres :



L'échelle d'explosivité volcanique

La dispersion de gaz lourds

Il s'agit essentiellement du gaz carbonique qui est 1,5 fois plus dense que l'air. L'air que nous respirons en contient 0,04 % en volume et il est essentiel à la photosynthèse des plantes ; mais si cette proportion augmente, le gaz devient mortel, l'oxygène est insuffisant et le mécanisme de la respiration n'est plus contrôlé. A 10 %, il y a perte de connaissance et la mort intervient au bout de quelques minutes seulement.

Les gaz volcaniques contiennent du gaz carbonique mais les quantités ne sont pas suffisantes pour être dangereuses. Le danger vient des concentrations de gaz pouvant être accumulées dans des roches réservoir poreuses et dans certains lacs ; l'accident de 1986 du lac Nyos en est une dramatique illustration.

Le lac Nyos est un lac de cratère situé dans la partie anglophone du Cameroun. Il fait partie d'une zone volcanique encore active au Mont Cameroun. Sa surface n'est que de 1,6 km2 mais sa profondeur atteint 210 m. Le 26 août 1986, le lac a brutalement relâché 1 km3 de gaz carbonique qui s'est écoulé dans les vallées autour du lac en asphyxiant toute vie animale sur un rayon de 20 km ; la catastrophe fit 1 700 morts. Deux ans auparavent, un phénomène de même nature avait eu lieu au lac Monoun situé à une centaine de kilomètres ; il avait fait une trentaine de morts et était passé relativement inaperçu.


Lac Nyos (mars 1987)

L'importance de la catastrophe de Nyos a rapidement suscité plusieurs questions : comment l'expliquer ? comment prévenir ce risque ? d'autres lacs sont-ils dangereux ?

L'explication du phénomène a fait l'objet d'une intense controverse entre les spécialistes. Deux théories s'affrontaient pour expliquer l'origine du gaz éjecté :

Finalement, après une conférence internationale particulièrement houleuse, les géologues et volcanologues ont validé la seconde hypothèse et ont donné le nom d'éruption limnique au phénomène. La solubilité du gaz carbonique augmente avec la pression et il s'accumule lentement au fond du lac où la pression est maximum (elle atteint 20 bars dans le cas du lac Nyos). Lorsque le niveau de saturation est atteint ou qu'un évènement perturbateur se produit (séisme, glissement de terrain), les eaux se mélangent brutalement et les couches basses remontent en libérant le gaz dissous.

La technique pour prévenir le risque consiste à diminuer progressivement le taux de gaz carbonique dans les eaux du lac. On utilise un dispositif de siphonage utilisé dans l'industrie pétrolière : on immerge un tuyau jusqu'au fond du lac, on amorce le pompage de l'eau, et on provoque artificiellement une remontée des eaux dans le tuyau. La pression de l'eau diminue alors et libère le gaz carbonique qu'elle contient. A l'extrémité supérieure du tuyau, le mélange eau + gaz forme un jet d'eau qui peut atteindre plus de 40 mètres de haut. Le tuyau étant en polyéthylène haute densité (densité 1), il ne pèse rien dans l'eau, ce qui facilite la mise en place du dispositif.


Principe du siphon de dégazage


Dégazage du lac Nyos

A Nyos, le premier siphon permanent a été installé en 2001. Deux autres colonnes ont ensuite été ajoutées pour effectuer le dégazage complet du lac. Trois colonnes sont également installées au lac Monoun. Le lac Kivu situé entre la République démocratique du Congo et le Rwanda est le troisième lac au monde susceptible de provoquer une éruption limnique. Il est très grand (2 700 km2), profond (500 m), et ses eaux contiennent du gaz carbonique et du méthane ; les études récentes semblent montrer que les taux de gaz actuellement dissous dans le lac sont insuffisants pour provoquer une éruption limnique.

Pour terminer, on peut signaler que le lac Pavin, un lac d'origine volcanique d'Auvergne, a fait l'objet de nombreuses études et qu'il ne présente aucun risque d'explosion limnique.


Comparaison des émissions de gaz à effet de serre
d'origine volcanique et anthropique

L'impact des volcans sur le climat

Le dioxyde de soufre SO2 rejeté par les volcans génère un aérosol (constitué principalement de gouttes d'acide sulfurique et de particules de sulfates) qui absorbe et réfléchit une partie du rayonnement solaire ; cela se traduit par une diminuation de température sur toute la surface couverte par l'aérosol qui peut être très importante. Pratiquement, pour une explosion d'intensité 6 comme celle du Pinatubo (Philippines) en 1991, on a mesuré une diminution de température de quelques dixièmes de degrés pendant deux ans.

Les quantités de gaz à effet de serre (gaz carbonique CO2 et méthane CH4) rejetés par les volcans peuvent se chiffrer en millions de tonnes pour les explosions importantes et certains climatosceptiques ont avancé l'argument de l'activité volcanique pour mettre en doute l'origine anthropique du réchauffement climatique. En fait, si l'on compare les émissions des volcans terrestres et celles d'origine humaine, on voit que les premières sont très faibles par rapport aux secondes. Certes, il existe de nombreux volcans sous-marins qui rejettent également des gaz mais ceux-ci sont dissous dans l'eau des océans qui agissent globalement comme un puits de carbone.

Autrement dit, actuellement, l'activité volcanique n'a pratiquement pas d'action sur le climat.

Pour terminer, Jean-Christophe Sabroux présente plusieurs photos inhabituelles qui montrent que le volcanisme n'est pas limité à l'image qu'on en a habituellement. Exemples : le volcan Erebus en Antarctique et un panache volcanique sur Io, une planète de Jupiter, qui se serait élevé à 140 km de hauteur.


Volcan Erebus (Antarctique)


Panache d'un volcan actif sur Io
Source : NASA

Les participants remercient amicalement Jean-Christophe Sabroux pour cette conférence et espérent le revoir sur d'autres sujets concernant l'environnement. Nous l'applaudissons très chaleureusement.

Quelques liens pour approfondir le sujet de la conférence :