Une exposition aux Catacombes :
La mer à Paris, il y a 45 millions d'années

Tous les Parisiens connaissent les Catacombes, ce lieu étrange où l'on a entreposé les ossements de plusieurs millions de personnes dans d'anciennes carrières souterraines du XIVe arrondissement. Elles hébergent depuis plusieurs mois l'exposition « La mer à Paris, il y a 45 millions d'années ». Jean-Pierre Gély, membre d'honneur de la SAGA en est un des commissaires et il la fait visiter aujourd'hui aux membres de la SAGA.

Une brève histoire des carrières et de l'ossuaire des Catacombes

Dès l'Antiquité, Paris a été construit avec une pierre calcaire de qualité appelée « pierre de Paris ». Pendant très longtemps, la production des carrières à ciel ouvert a satisfait la demande, mais au XIIe siècle, les besoins de la construction ont fortement augmenté (la cathédrale Notre-Dame, le château du Louvre, l'enceinte urbaine), ce qui a nécessité l'ouverture de carrières souterraines.

La première technique utilisée a été celle par piliers tournés : l'exploitation se faisait dans des galeries en laissant des piliers pour soutenir le ciel de la carrière ; cette méthode avait évidemment l'inconvénient de perdre une part importante du matériau, de l'ordre de 25%. Elle fut remplacée au XVIe siècle par la technique des hagues et bourrages : on exploite alors la totalité du bon matériau et pour éviter l'effondrement du ciel de la carrière, on le soutient avec des piliers à bras qui jouent le rôle d'étais et on construit des murs en pierre sèche (hagues) qui permettent de remblayer (bourrer) le vide laissé par l'exploitation avec du matériau impropre à la vente.

La plupart des carrières de calcaire souterraines de Paris et en banlieue limitrophe sont situées sur la rive gauche, les Catacombes que l'on visite aujourd'hui ne représentent que 1/800e de leur surface totale. Au XVIIIe siècle, ces carrières anciennes abandonnées sont à l'origine de nombreux effondrements et constituent un danger pour la ville qui s'agrandit. En 1777 Louis XVI crée l'Inspection générale des Carrières (IGC) pour cartographier les carrières et procéder aux confortations nécessaires ; il nomme Charles-Axel Guillaumot à la tête de cette nouvelle administration.

A la même époque, l'insalubrité des cimetières est un autre problème majeur de la ville. Le plus critique est le cimetière des Saints-Innocents, dans le quartier des Halles, qui arrive à saturation. En 1780, les autorités envisagent son déménagement et C.-A. Guillaumot propose le transfert des corps dans les carrières abandonnées de la Tombe Issoire pour former l'ossuaire municipal de Paris qu'on appelle aujourd'hui les Catacombes. Le lieu est aménagé, puis consacré, et le transfert des ossements commence en 1786 ; d'autres cimetières parisiens seront ensuite transférés jusqu'en 1788, puis entre 1842 et 1860. Au total, les ossements de plus de 6 millions de Parisiens reposent dans l'ossuaire.

Abandonné sous la Révolution, l'ossuaire est réorganisé sous l'Empire par Louis-Etienne François Héricart de Thury, inspecteur général de l'IGC. Les ossements, crânes et tibias, sont soigneusement rangés et on construit un décor funéraire pour une ouverture au public qui a lieu en 1809. Dès cette époque les visiteurs sont nombreux et leur nombre ne cesse d'augmenter, de nos jours, on en compte en moyenne 300 000 par an.



Echelle stratigraphique du Cénozoïque
Source : Jean-Pierre Gély


Carrières de calcaire lutétien à Paris
(jaune clair : exploitations souterraines, jaune foncé : exploitations à ciel ouvert et souterraines)
Source : Jean-Pierre Gély

La visite

La visite ouverte au public correspond à un parcours de 2 kilomètres, une infime partie parmi les 250 kilomètres de galeries des carrières souterraines de Paris. A l'entrée du parcours, une exposition permanente décrit la géologie du site ; l'exposition « La mer à Paris, il y a 45 millions d'années » est installée plus loin, dans plusieurs salles traversées au cours de la visite.

Dès l'entrée franchie, on descend d'une vingtaine de mètres, jusqu'à l'étage supérieur des carrières souterraines. Comme l'indique un panneau, nous sommes au niveau du banc de roche, largement en dessous des canalisations du réseau d'égouts et du métro qui a été creusé dans les marnes et caillasses.

Une coupe géologique SSO-NNE de Paris montre le plissement des couches dans l'axe de l'anticlinal de Meudon, la dépression des vallées de la Bièvre et de la Seine et les Buttes Chaumont. On y repère notamment les strates suivantes (en partant des plus récentes) :

La coupe permet de comprendre la disposition des carrières :





Coupe stratigraphique du Lutétien dans les Catacombes
Source : Jean-Pierre Gély

Plusieurs panneaux expliquent divers sujets : la formation du calcaire à partir de la boue des sédiments marins, les méthodes d'exploitation du calcaire, l'histoire des Catacombes, la répartition des carrières de calcaire et de gypse à Paris et dans sa banlieue limitrophe. On est particulièrement impressionné par la carte qui montre qu'environ la moitié de la rive gauche de Paris est construite sur d'anciennes carrières souterraines.

Après l'exposition permanente, on entre dans la carrière par un long couloir entre deux murs de consolidation. Tout au long de la visite, on repère les inscriptions qui identifient les constructions de confortations, les repères des lieux en surface (rues, regards, aqueduc d'Arcueil, etc.) et les vestiges de l'exploitation : piliers tournés, hagues et piliers à bras.

On descend de quelques mètres et on arrive au bas relief de Port-Mahon sculpté dans les années 1780 par Antoine Décure, un ouvrier de l'IGC et ancien prisonnier à Minorque. Cet ouvrier qui a laissé là un véritable chef-d'oeuvre est mort dans un éboulement pendant qu'il taillait un escalier menant à ses sculptures.

On arrive ensuite au « bain de pieds des carriers », un puits d'une dizaine de mètres de profondeur qui permettait de tirer l'eau nécessaire à la fabrication du mortier utilisé pour les travaux de consolidation. Nous sommes ici à l'étage inférieur des carrières, au niveau du Lutétien moyen, où l'on exploitait le banc royal et le banc des lambourdes et vergelés. Le puits atteint le Lutétien inférieur, et même les argiles de l'Yprésien. Dans son ensemble, la coupe est la référence du Lutétien inférieur et du Lutétien moyen retenue par Albert-Auguste de Lapparent lorsqu'il définit l'étage stratigraphique du Lutétien en 1883.



Exemple d'aménagement


Piliers à bras


Bas relief de Port Mahon, sculpté par Antoine Décure


Le « bain de pieds des carriers »

Puis on remonte et on arrive dans une grande salle du niveau supérieur de la carrière où se tient l'exposition temporaire. Nous sommes devant le stratotype du Lutétien supérieur, également retenu par Albert-Auguste de Lapparent. Sur une hauteur d'environ 3 mètres, les différents niveaux sont repérés et désignés par les noms (parfois assez mystérieux) que leur donnaient les carriers. De haut en bas, on trouve :

Le ciel (plafond) de la carrière est à la base d'une couche très dure appelée banc de roche. Le sol actuel de la galerie est au niveau du Liais franc.



Carte du bassin de Paris au Lutétien inférieur
Source : Jean-Pierre Gély


Carte du bassin de Paris au Lutétien supérieur
Source : Jean-Pierre Gély

L'exposition décrit les épisodes majeurs qui ont marqué le Bassin parisien pendant les 8 millions d'années du Lutétien (48 à 40 Ma) et répond aux questions que se pose d'emblée le visiteur : où était la mer ? quelle était sa profondeur ? quel était le climat et le paysage côtier ? quelle était la faune ?

Le Lutétien correspond essentiellement à un grand mouvement de transgression et régression marine sous un climat tropical, propice au développement d'une faune abondante. Résumons succinctement les principales étapes de la période :

Une collection de fossiles du Lutétien est présenté dans la salle.



Gastéropodes du Lutétien


Moulages de Campanile giganteum

La visite continue par l'ossuaire, et nous passons entre des empilements de tibias et des rangées de crânes qui semblent jaillir du fond des temps. Il n'est pas surprenant que 90 % des visiteurs viennent aux Catacombes pour cet étonnant spectacle... et s'intéressent de très loin aux carrières et à la géologie du lieu !



Entrée de l'ossuaire


Quelques uns des millions d'ossements

Après l'ossuaire, on arrive dans la salle de la « cloche de fontis ». Les fontis sont des accidents fréquemment causés par les vides des carrières souterraines, même lorsque celles-ci ont été consolidées : avec le temps, le plafond de la carrière peut se décoller en un endroit et s'effondrer progressivement en remontant vers le haut ; le phénomène crée ainsi une sorte de grande cheminée circulaire. Lorsque l'épaisseur entre le haut du fontis et le terrain naturel est suffisamment faible, il y a effondrement. Pour éviter l'accident, il est nécessaire de ceinturer et de combler le fontis dès qu'il a commencé à se former.

Conclusion

La visite se termine après la « cloche de fontis » et nous quittons les Catacombes par un escalier qui nous mène à l'air libre. C'est pour nous le temps de remercier chaleureusement Jean-Pierre Gély, qui a accepté d'accompagner pour la troisième fois un groupe de la SAGA aux Catacombes. Son érudition et sa gentillesse sont toujours très appréciées. Rendez-vous est pris avec lui pour une prochaine sortie de l'Association à la Basilique Saint-Denis.

Crédit photos : Francis Tran.

Quelques références et liens internet :