Le Lutétien de l'Oise

Jean-Pierre Gély a déjà piloté plusieurs sorties de la SAGA dans le Lutétien du Bassin parisien. La dernière était en mars 2009, lorsqu'il nous avait conduits dans les carrières de Saint-Vaast-lès-Mello et de Barisseuse (Oise). Aujourd'hui, un dimanche gris de janvier, il nous fait découvrir d'autres sites du Lutétien de l'Oise, la matinée à Saint-Maximin et l'après-midi à Bonneuil-en-Valois.

Un bref rappel sur le Lutétien

Le stratotype du Lutétien a été identifié par Albert de Lapparent à la fin du XIXe siècle. C'est un âge de l'Eocène, entre 48,5 et 40,5 Ma avant notre ère, venant après l'Yprésien et avant le Bartonien. Pendant ces 8 millions d'années, le Bassin parisien a subi de profonds bouleversements et connu trois cycles transgression-régression de la mer. La sortie d'aujourd'hui concerne principalement le premier cycle qui se situe au Lutétien inférieur et moyen.

Au Lutétien inférieur, la mer envahit le golfe parisien par le Nord (transgression). Elle arrive d'abord au niveau Noyon/Laon, puis à Paris et s'arrête au niveau de Melun/Etampes. Au Lutétien moyen, un mouvement inverse se produit (régression) et la mer se retire vers le Nord-Ouest. Entre les deux épisodes, la formation des Pyrénées a créé des plissements dont celui du dôme de l'Artois qui coupe la communication avec la mer du Nord à la fin du Lutétien moyen.

Les premiers sédiments du Lutétien sont déposés dans une eau marine peu profonde, de l'ordre d'une dizaine de mètres, agitée, et alimentée par les dépôts détritiques des rivières. Ils forment la glauconie grossière.

Avec la transgression, la profondeur d'eau augmente (jusqu'à une cinquantaine de mètres), l'agitation diminue et les dépôts de coquilles de mollusques sont de plus en plus importants. Ces conditions sont favorables aux sédiments calcaires (pierre à liards, banc de Saint-Leu, etc.) comme ceux que l'on visite aujourd'hui.

Lorsque la mer se retire, le paysage devient moins marin et plus lacustre, les dépôts sont des calcaires argileux, parfois évaporitiques. Nous ne verrons pas ce type de formation sur les sites visités aujourd'hui. Il ne faut pas oublier que, même si nous sommes souvent impressionnés par l'épaisseur des couches de sédiments visibles (au total une quarantaine de mètres pour le Lutétien), ces couches présentent des lacunes dues à l'érosion qui peut faire disparaître une part importante des sédiments déposés ou au non-dépôt de matériaux pendant certaines périodes.


Carte paléogéographique du bassin de Paris
au dépôt du banc de Saint-Leu

Source : Stratotype Lutétien
Didier Merle


Coupe stratigraphique simplifiée du Lutétien
Source : Le Lutétien, une période charnière de l'histoire du Bassin parisien
Jean-Pierre Gély

La carrière Parrain à Saint-Maximin

La matinée est dédiée à la visite d'une ancienne carrière souterraine, la carrière Parrain. Nous sommes accompagnés par un guide de l'association la Maison de la Pierre.

La commune de Saint-Maximin est située entre Chantilly au Sud et Creil au Nord, à quelques centaines de mètres de l'Oise. La pierre y a été exploitée dès l'époque gallo-romaine puisqu'on la trouve dans les Thermes de Cluny à Paris. Mais c'est surtout à partir du XVIIe siècle, lorsque la pierre de Paris est épuisée, que les carrières de Saint-Maximin se développent. La production devient très importante à partir du milieu du XIXe siècle ; les travaux d'Haussmann génèrent une forte demande et l'expédition des pierres peut se faire, non plus par voie fluviale, mais par la ligne de chemin de fer Paris/Creil qui dessert Saint-Maximin. De nos jours, plusieurs carrières de Saint-Maximin sont toujours en exploitation et produisent des pierres à usage noble (restauration de monuments historiques, exportation, revêtements de façades).

La carrière Parrain a été exploitée dès le XVIesiècle, d'abord à ciel ouvert, puis en souterrain. C'est cette dernière que l'on visite de nos jours. L'exploitation par piliers tournés a laissé un vaste réseau de galeries qui s'étend sur une superficie de 4 hectares. Ces galeries sont creusées à une vingtaine de mètres de profondeur, elles ont été remblayées sur 1,5 mètres d'épaisseur, ce qui met le toit à une hauteur d'environ 5 mètres.

Le banc exploité correspond au Banc de Saint-Leu, appelé également calcaire à Ditrupa strangulata (ces fossiles sont de petits tubes formés par un ver annélide). Dans l'échelle stratigraphique, cette formation est à la base du Lutétien moyen, au dessus de la Glauconie et de la Pierre à liards, et en dessous du Banc à vérins. Les vérins sont de grands cérithes fossiles (Campanile giganteum) dont il ne reste souvent que le moulage interne. De beaux spécimens sont visibles au plafond de la carrière.

Au cours de la visite, le guide décrit également les techniques successivement utilisées dans la carrière : le pic et les coins, l'aiguille, la lance, la barre à louper, le cric et le treuil. En 1925, l'exploitation de la pierre a cessé et la carrière a été transformée en champignonnière, activité qui s'est prolongée jusqu'en 1993. C'est l'occasion pour le guide de mentionner les différents modes de culture des champignons de Paris ; de nombreux sacs ont d'ailleurs été laissés dans la carrière par le dernier propriétaire.


Avant la visite, présentation du Lutétien par JP Gély


Deux vérins tête-bêche sur le toit de la carrière
Carrière de Saint-Maximin

Bonneuil-en-Valois

L'après-midi de la journée est consacrée à un circuit à Bonneuil-en-Valois, une commune située à une cinquantaine de kilomètres de Saint-Maximin, entre Villers-Cotterêts et Crépy-en-Valois. Notre guide est Guy Launay, président de l'association Roches et carrières.

Nous commençons par un parcours géologique qui part du village et monte vers le plateau. Plusieurs stations sont particulièrement intéressantes sur le plan géologique :

Puis, nous entrons dans une ancienne carrière souterraine, dite carrière du Père Soleil, du surnom d'un émigré russe qui a été le dernier exploitant. Le plafond de la carrière est partiellement dolomitisé et on y observe des traces de chenaux résultant d'un processus de karstification. Le phénomène a été engendré par l'érosion fluviale et l'enfoncement des cours d'eau du Bassin parisien pendant le Quaternaire. Un peu au dessus de la carrière, on visite la maison troglodytique du Père Soleil.


Limite Cuisien/Lutétien


Le pain de Prussien
Bonneuil-en-Valois

Pour terminer, Guy Launay a réservé l'étape la plus intéressante de l'après-midi, la carrière de La Croix Huyart, située à moins d'un kilomètre de celle du Père Soleil, sur le plateau. C'est une petite carrière exploitée d'une manière artisanale et produisant un calcaire de très bonne qualité. Les bancs, de quelques mètres d'épaisseur sont datés de la fin du Lutétien moyen/début du Lutétien supérieur et correspondent à des sédiments déposés en eau peu profonde. On y trouve une grande quantité de blocs riches en milioles et cérithes. Les milioles sont des foraminifères et les cérithes des gastéropodes ; ces animaux peuvent pulluler lorsque les conditions sont favorables (eau chaude et peu profonde), d'où les concentrations de ces fossiles dans certains calcaires. D'autres pierres, moins nombreuses, présentent de belles empreintes de tapis d'algues.


Calcaire à cérithes


Empreintes d'algues
Carrière de la Croix Huyart

Pendant toute la visite, nous sommes impressionnés par les anecdotes et les commentaires de Guy Launay qui semble tout connaître de la région, la géologie, les fossiles, la nature, l'histoire... depuis l'époque romaine jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale.

Malgré la grisaille du jour et les chemins boueux du parcours, les participants de la sortie ne regrettent pas leur journée. Ils remercient l'association La Maison de la Pierre et Guy Launay qui ont permis les visites, ainsi que Jean-Pierre Gély qui est toujours apprécié pour ses connaissances, sa gentillesse et la clarté de ses explications. Rendez-vous est pris avec lui pour une prochaine sortie dans les catacombes de Paris et une observation du stratotype historique du Lutétien.

Bibliographie et sites web recommandés