Aujourd'hui, un beau dimanche ensoleillé de printemps, Jean-Pierre Gély emmène le groupe de la SAGA à la limite du Bassin parisien, dans l'Yonne. Il a préparé un itinéraire (carrière des Quatre Pieux, Rochers du Saussois, carrière du hameau de la Place, passage à niveau de Châtel-Censoir, Vermenton) où l'on pourra découvrir une curiosité géologique, un récif corallien de l'Oxfordien.
A l'Oxfordien (Jurassique supérieur), il y a environ 160 millions d'années, la Bourgogne se trouvait sous les tropiques ; le climat et la profondeur de l'océan étaient propices à la construction de barrières de coraux. De nos jours, les restes d'un complexe récifal, le plus septentrional des récifs coralliens de l'Oxfordien, sont visibles sur environ 70 kilomètres de long, de la Loire au Sud (La Charité) à la Cure (un affluent de l'Yonne) au Nord. Sa largeur atteint plusieurs kilomètres pour une épaisseur de 60 à 100 mètres. On ne connaît pas la géométrie exacte du récif, le talus Nord est visible au niveau de Mailly-le-Château mais l'érosion a fait disparaître le talus Sud. Par contre, on différencie très nettement les faciès des calcaires construits par les coraux et ceux des calcaires déposés en mer ouverte (~ 100 à 150 mètres de profondeur) au Nord du récif.
L'excursion se déroule au Sud d'Auxerre, en remontant le cours de l'Yonne et ses méandres, du Nord vers le Sud, plus précisément de Mailly-le-Château à Châtel-Censoir. Entre ces deux localités, sur une dizaine de kilomètres, la rivière a creusé son lit dans le massif corallien et fait apparaître des falaises et des affleurements qui constituent autant de coupes du massif.
Coupe du récif et du talus côté Nord |
Nous allons à envion 200 kilomètres de Paris, à la périphérie du Bassin parisien et à la limite du Morvan. Pendant le trajet, Jean-Pierre Gély commente les différentes formations que l'on traverse ; elles vont de l'Eocène au Jurassique et nous font remonter de plus de 100 millions d'années dans le temps.
En quittant Paris par la porte d'Orléans, l'autoroute du Sud s'élève rapidement sur la surface structurale du calcaire de Brie (Sannoisien) recouverte par une épaisse couverture argilo-limoneuse quaternaire. L'autoroute reste sur cette surface structurale en franchissant les vallées de l'Orge, de l'Yvette et de l'Essonne. Cette surface est recouverte progressivement par les sables de Fontainebleau en colluvions et dépôts éoliens jusqu'au péage de Fleury-en-Bière.
Au-delà, la chaussée gravit rapidement le Stampien et se poursuit sur la plate-forme structurale de Beauce recouverte par les limons quaternaires en franchissant la vallée du Loing près de Nemours. Plus au Sud, en limite d'extension méridionale des sables de Fontainebleau et des calcaires lacustres stampiens et aquitaniens, l'autoroute se déploie pendant 40 kilomètres sur un glacis surbaissé d'épandages sablo-argileux remaniant les altérites de la craie du Crétacé supérieur (argiles à silex). La craie n'est visible que dans le fond des rares vallées incisées. Cette géologie ingrate masque en profondeur une structuration en lanières découpées par des failles méridiennes qui ont permis le piégeage de pétrole lourd dans les sables du Crétacé inférieur (Néocomien) de la région de Châteaurenard. Ces failles Nord-Sud s'arrêtent sur la grande structure jalonnée par la faille de Metz, la vallée de la Seine en amont de Montereau-Fault-Yonne, par la vallée de l'Essonne jusqu'à Pithiviers.
Puis l'autoroute descend la cuesta de la craie pour atteindre les formations argilo-sableuses du Crétacé inférieur en franchissant l'Yonne immédiatement au Nord d'Auxerre. La chaussée remonte sur des lambeaux de calcaire de l'Hauterivien avant d'atteindre les calcaires lités du Portlandien (Tithonien).
On recoupe cette formation après avoir quitté l'autoroute par l'échangeur d'Auxerre-Sud. En remontant la vallée de l'Yonne au Sud d'Auxerre, on atteint les marnes du Kimméridgien qui portent les vignobles d'Irancy et de Coulanges-la-Vineuse, puis les calcaires de Tonnerre (Kimméridgien inférieur-Oxfordien supérieur) intensément exploités en carrières souterraines pour la pierre de taille.
La route remonte l'Yonne à travers les calcaires de Bazarnes puis la formation de Vermenton pour atteindre la formation récifale de l'Oxfordien supérieur peu avant Mailly-le-Château.
Cette carrière, située sur la D130 se trouve dans la Réserve naturelle du Bois du Parc, au bord de l'Yonne, à Mailly-le-Château. Le front de carrière correspond à la partie supérieure du récif, au niveau de la barrière récifale. La formation est peu stratifiée et on distingue deux faciès :
En haut de l'affleurement, sous la barrière de sécurité, les traces de coraux disparaisent ; ce niveau correspond au sommet du récif et à sa fin de vie.
Quelques empreintes sont particulièrement remarquables, par exemple plusieurs gerbes d'un corail branchu, Calamophylliopsis flabellum et une algue rouge, Solenopora jurassica.
Calamophylliopsis flabellum |
Solenopora jurassica |
Carrière des Quatre Pieux |
A quelques kilomètres du premier arrêt, en poursuivant la route vers le Sud, nous sommes dans l'arrière récif, devant une falaise d'une quarantaine de mètres de hauteur. La morphologie de cette falaise est caractérisée par une succession de bourrelets et de rentrants qui résultent d'une altération différentielle : les bourrelets sont riches en coraux bien cimentés ; dans les rentrants, les polypiers sont moins denses, emballés dans une matrice boueuse.
L'altération karstique a creusé des cheminées et des galeries dans la masse de calcaire et quelques couples de faucons pélerins nichent dans les infractuosités de la paroi. C'est l'occasion de mentionner que la région est traversée par de nombreuses circulations souterraines dont certaines sont très profondes, très en dessous du niveau des rivières. Cette karstification est à l'origine de phénomènes géologiques importants comme les sources de la Druyes à Druyes-les-Belles-Fontaines ou les pertes de la Cure. Un peu plus tard dans l'après midi, Jean-Pierre Gély nous signalera au bord de la route, près de Châtel-Censoir, la présence d'une résurgence plus modeste.
La karstification a également creusé des grottes habitées par les hommes préhistoriques qui profitaient de leur bonne exposition pour se protéger du rude climat auquel ils étaient soumis (en 2002, la SAGA a visité les grottes de Saint-Moré, à côté d'Arcy-sur-Cure).
Altération karstique Rochers du Saussois |
Ammonite Carrière du hameau de la Place |
Le hameau de la Place est sur la commune de Châtel-Censoir. Dans cette ancienne carrière, où les prélèvements sont autorisés, le calcaire est lité et plusieurs bancs sont visibles.
A la base de l'affleurement, on trouve un calcaire à chailles (concrétions de silex noyées dans la masse de calcaire). Ce calcaire renferme des ammonites et un des membres du groupe en a d'ailleurs récolté en brisant un bloc. Au dessus, le premier stade d'installation du récif est constitué de coraux tabulaires Microsolena. Ces coraux forment comme des empilements de coupelles ou d'assiettes et se développent dans des eaux plus calmes et plus profondes que les coraux branchus. Dans cette carrière, on en trouve de nombreux fragments qui se présentent sous la forme de plaques relativement minces (moins d'un centimètre), légèrement courbées et ondulées, et ayant une tranche bien cristallisée.
Les ammonites sont les principaux marqueurs stratigraphiques de l'Oxfordien, mais on n'en trouve pas dans les calcaires récifaux. Il est donc difficile de les dater directement ; on ne peut le faire que de manière relative en fonction des différentes biozones qui les encadrent. Le tableau ci-dessous positionne les récifs du Berry-Poitou, de l'Yonne et de Lorraine les uns par rapport aux autres. Les biozones situent le récif de l'Yonne à l'Oxfordien moyen et à l'Oxfordien supérieur (dans sa totalité, et d'après l'échelle stratigraphique internationale, l'Oxfordien couvre la période de 161,2 à 155,6 Ma).
Diachronisme des récifs du Berry-Poitou, de l'Yonne et de Lorraine Source : Gély J.P. et Lorenz J. (2009) - Événements majeurs dans le Jurassique du Sud du Bassin parisien Bull. inf. Géol. Bass. Paris, vol. 46, n° 1, p. 27-44 |
Cet arrêt, au croisement de la D100 et de la voie ferrée est un site classique de la région dont l'intérêt géologique a été reconnu dès le XIXe siècle. Plusieurs faciès sont visibles sur cet affleurement :
Il était prévu de faire l'arrêt suivant à la carrière de la Roche taillée (Arcy-sur-Cure) mais celle-ci est inaccessible aux autocars et il est décidé de prendre le chemin du retour en s'arrêtant à Vermenton.
D1 : complexe récifal supérieur, Cb = biostromes à microsolénidés, Ca = calcaires micritiques à rares solénidés, Bb = calcaire à chailles Schéma interprétatif du site du passage à niveau de Châtel-Censoir Source : livret-guide de l'excursion de l'Association des Sédimentologistes français, 1991 |
Vermenton est sur la Cure, à quelques kilomètres du point de confluence de cette rivière avec l'Yonne. On y trouve un bel affleurement d'une trentaine de mètres de haut et d'une centaine de mètres de long, au bord de la D606, à la sortie du village direction Auxerre.
L'affleurement n'est pas sur le récif corralien, mais à quelques kilomètres au Nord, du côté de la mer ouverte. Il est caractérisé par une alternance régulière de couches de calcaire micritique (très fin et très dur) et de marne. Les couches de calcaire ont une trentaine de centimètres d'épaisseur, celles de marne ont moins. Elles ne sont pas fossilifères. Ces faciès sont caractéristiques de dépôts marins sans effet de vagues de tempêtes, avec une profondeur de l'ordre de 100 à 200 mètres.
Ce type d'alternance est attribué aux variations climatiques engendrées par les cycles de Milankovitch. Ceux-ci résultent de la variation périodique de trois paramètres du système Terre/Soleil : excentricité de l'orbite terrestre, inclinaison de l'axe de rotation de la Terre sur l'écliptique, précession (rotation de l'ellipse de l'orbite terrestre autour du Soleil). L'analyse de carottes de glace a permis de mieux connaître les périodicités de ces phénomènes en les corrélant aux glaciations du Quaternaire (les valeurs couramment admises sont respectivement de l'ordre de 100 000, 40 000 et 20 000 ans) mais on ne peut affirmer qu'elles étaient les mêmes à l'Oxfordien, il y a 150 millions d'années. Inutile de compter les doublés calcaire/marne pour connaître quelle tranche de temps représente cet affleurement !
Alternance calcaire micritique/marne |
Détail des couches |
Vermenton |
En conclusion, on ne peut que remercier très chaleureusement Jean-Pierre Gély qui, une fois de plus, a préparé et commenté une sortie de notre Association. Nul doute que beaucoup d'entre nous souhaiterons participer à la visite qu'il propose d'organiser pour la SAGA à l'exposition "La mer à Paris, il y a 45 millions d'années", exposition dont il est commissaire et qui se tient jusqu'en mars 2013 aux Catacombes de Paris.
Les gisements présentés dans ce compte rendu de sortie sont bien documentés ; plusieurs ouvrages et sites internet peuvent aider à la préparation d'une excursion géologique dans la vallée de l'Yonne :