Paléovirologie : de curieux fossiles un peu inquiétants

Joseph Marchand


Joseph Marchand est un membre de la SAGA, ancien biologiste et passionné de paléontologie. Il est notamment le découvreur de l'holotype d'un Marsupial primitif, l'Archantiodelphys marchandi. Dans cette tribune libre, il nous fait part de quelques découvertes de paléovirologie, un récent champ de recherche à la frontière de la virologie et de la paléontologie.

Un rappel sur les virus

Pour le grand public, les virus sont pratiquement synonymes de maladies et épidémies telles que la variole, les hépatites, la grippe espagnole, le sida, le chikungunya, etc. La liste de ces fléaux est longue et d'ailleurs le nom vient du latin virus = poison.

Pour les biologistes, ce sont des objets constitués de trois éléments :

Les virus ne peuvent se reproduire par eux-mêmes, et en ce sens ne sont pas vivants. Mais ils peuvent s'introduire dans des bactéries ou des cellules (animales ou végétales) et utiliser les composants de leurs hôtes pour se multiplier. La plupart des virus sont de petite taille, inférieure à celle des bactéries, et ne peuvent être examinés le plus souvent qu'au microscope électronique.

Les rétrovirus (abrévation RT) constituent un groupe particulier de virus à ARN. Leur spécifiité est de posséder une enzyme (la transcriptase inverse) qui permet de transcrire l'ARN viral en ADN complémentaire capable de s'intégrer à l'ADN de la cellule hôte. Le mécanisme de transcription cellulaire reproduit l'ARN viral et reconstitue de nouveaux virus. Ceux-ci se détachent de la cellule par bourgeonnement à travers la membrane et vont à leur tour infecter d'autres cellules.

Les rétrovirus sont connus depuis les années 1980 chez l'homme ; ils causent diverses infections chez les oiseaux, les mammifères et les humains. Le HIV, le virus du sida est un rétrovirus et résulte d'une longue évolution d'une famille particulière, les Lentivirus, retrouvés notamment chez les primates.

Quelques découvertes de paléovirologie

Les virus sont probablement apparus dès l'origine de la Vie et ont une grande capacité de mutation. Ils n'ont évidemment pas laissé de traces visibles comme les ammonites ou les dinosaures, mais on trouve l'empreinte de certains d'entre eux dans les génomes.

En fait, la plupart ne font apparemment que passer dans les organismes. Ce passage peut détruire les cellules et éventuellement entraîner la mort des individus infectés mais n'a pas d'incidence directe sur le génome de l'espèce. A l'inverse, certains rétrovirus peuvent infecter les cellules germinales des individus et modifier directement leur génome. On sait actuellement qu'au moins 8% du génome humain est d'origine virale. De ce point de vue, nous serions un gisement de virus fossiles !

Les séquences d'ADN d'origine virale sont inactives, incapables de produire des virus complets infectieux ; heureusement, car elles sont parfois proches de virus actuels très dangereux comme Ebola.

Mais certaines fractions de séquences restent susceptibles de coder des protéines particulières. C'est en particulier le cas de deux gènes qui codent deux protéines (syncytine 1 et 2) nécessaires à la formation du placenta (ces protéines constituent le syncytium, à l'interface des tissus du foetus et ceux de la mère).

On retrouve ces gènes viraux chez les primates simiens (l'homme, les grands singes, les gibbons, les macaques et les singes du Nouveau Monde) apparus il y a 45 Ma. Par contre, on ne les retrouve pas chez les prosimiens, primates plus primitifs (lémuriens et loris) apparus il y a 70 Ma. Entre 70 et 45 Ma, le rétrovirus à l'origine des syncytines aurait été capturé par un de nos ancêtres primate et le gêne codant la protéine enveloppe serait resté fonctionel.

D'après ces données, un rétrovirus serait donc à l'origine des placentaires ! Une autre découverte importante a été faite récemment : notre génome contient des séquences virales qui ne proviennent pas de rétrovirus, mais de "virus normaux". Certains d'entre eux se trouvent dans des groupes très éloignés d'un point de vue phylogénétique comme les mammifères et les insectes qui ont divergé il y a plus de 500 Ma.

Toutes les découvertes résumées dans cet exposé ont moins de dix ans. La paléovirologie est une science très jeune, née avec la cartographie du génome humain, au début des années 2000. De toute évidence, elle n'a pas fini de nous étonner et de nous faire découvrir les relations entre les virus et l'évolution du monde vivant.

Bibliographie :

  • Public Library of Science, Biology, Paleovirology : Modern consequences of Ancient Viruses, Michael Emerman, Harmit S. Malik.
  • Les Dossiers de La Recherche, N° 41 novembre 2010, Microbes.
  • Les Dossiers de La Recherche, N° 19 mai 2005, L'histoire de la vie, les grandes étapes de l'évolution, L'origine du génome, Patrick Forterre.
  • Médecine/Sciences, février 2011, Les syncytines, des protéines d'enveloppe rétrovirales capturées au profit du développement placentaire, Anne Dupressoir et Thierry Heidmann.


Schéma du rétrovirus du sida


Virus HIV bourgeonnant
(x 160 000)


Cycle de reproduction d'un rétrovirus


Diagramme dimension du génome / vitesse de mutation