Des Dinosaures aux Oiseaux : une histoire de plumes

La Fête de la Nature 2012 est consacrée aux Oiseaux. Pour cette manifestation, la SAGA a choisi de présenter la phylogenèse des Oiseaux et d'expliquer pourquoi on les considère maintenant comme un groupe particulier de Dinosaures. Cette hypothèse qui est actuellement largement admise a été confortée grâce aux découvertes faites en Chine et en Mongolie depuis quelques dizaines d'années. "Des Dinosaures aux Oiseaux : une histoire de plumes", tel est le thème retenu par Jean-Pierre Malfay qui nous présente dans cet exposé le support pédagogique qu'il a préparé pour cette Fête de la Nature.

Squelette Archaeopteryx (spécimen d'Eichstatt) Source : H. Raab sur Wikimedia Communs

Reconstitution de l'animal Source : Nobu Tamara sur Wikimedia Communs

L'archaeopteryx

D'une certaine manière, les Oiseaux entrent dans le champ de la Paléontologie en 1861, lorsque l'on découvre la trace d'un fossile dans le calcaire du Jurassique supérieur (Kimméridgien, ~ 155 Ma) de Solenhofen, en Bavière (Allemagne). L'empreinte avait la taille d'un pigeon, était d'excellente qualité et presque complète. Elle ressemblait à certains petits Dinosaures comme Compsognathus, tout en ayant des caractères propres aux Oiseaux :

• caractères dinosauriens : bassin de reptile Saurischien, longue queue, trois doigts griffus aux membres supérieurs, petite fourchette, crane allongé muni de dents ;
• caractères aviens : ailes avec plumes, os creux aux parois fines, clavicules fusionnées en fourchette.

Les paléontologues ont rapidement considéré le fossile comme un ancêtre des Oiseaux et l'ont appelé Archaeopteryx (grec pteron = aile). Darwin le considérait comme une forme transitoire entre les Reptiles et les Oiseaux. Une dizaine de squelettes identiques ont ensuite été trouvés dans cette région d'Allemagne.

Comparaison du squelette chez Composognathus (gauche), Archaeopteryx (centre) et Oiseau moderne (droite) Les échelles ne sont pas respectées. Source : P. Welllnhofer, 1993

Quelques repères dans la classification des Dinosaures

Dans l'arbre phylogénétique des Vertébrés, les Dinosaures sont des reptiles redressés. Leurs membres sont droits sous le corps, anatomie qui donne une grande aptitude pour les déplacements terrestres. Ils appartiennent au groupe des Archausoriens, comme les Crocodiliens et les Ptérosaures (reptiles volants) qui constituent des groupes frères. Ils ne comprennent ni les Ichtyosaures ni les Plésiosaures (reptiles marins) qui ont vécu au Secondaire, comme un grand nombre de Dinosaures. Ils sont apparus au Trias (~ 250 Ma) et on a l'habitude de les classer en fonction de la forme de leur bassin :

• les Saurischiens ont un bassin de reptile (grec sauros = lézard et ischion = bassin) ; les trois os du bassin, ilion, pubis et ischion sont dans trois directions différentes. Ce groupe comprend notamment les Sauropodes (gros herbivores quadripèdes) et les Théropodes (carnivores bipèdes). Compsognathus et Archaeopteryx sont dans ce dernier groupe ;
• les Ornitischiens ont un bassin d'Oiseau (grec ornitheios = oiseau et ischion = bassin) ; le pubis et l'ischion sont parallèles. Ce sont des herbivores ; exemples : les Stégosaures, les Ornithopodes, les Ankylosores.

Les Oiseaux disparus et modernes sont des Théropodes et les sections suivantes de la présentation montrent l'évolution de certains caractères de ce groupe : squelette, oeufs, plumes, aptitude au vol.

Ces quelques indications montrent qu'en Paléontologie l'étymologie d'un mot est assez souvent trompeuse ; elle traduit les connaissances au moment où le mot est créé, mais l'évolution des connaissances peut infirmer ou du moins brouiller les idées premières. Deux exemples :

• les Oiseaux modernes sont des Saurischiens et non des Ornitischiens, la ressemblance des bassins d'Oiseau et d'Ornitischien est une convergence évolutive ;
• le terme Dinosaure (grec deinos = qui inspire la crainte, sauros = lézard) est en fait assez mal choisi. Il laisse entendre que les Dinosaures sont des Lézards, ce qui n'est pas le cas, ces derniers n'ayant pas les pattes droites sous le corps, mais sur les côtés.

Comparaison des bassins de Dinosaures Saurischiens et Ornitischiens Source : Dinosaures de France, Eric Buffetaut

Evolution du squelette

L'évolution squelette est un des arguments majeurs démontrant la filiation des Oiseaux. Le diagramme ci-dessous montre l'évolution de trois caractères chez les Théropodes Coelophysis, Allosaurus, Velociraptor, Archaeopteryx et un Oiseau moderne:

• le basculement du bassin : le pubis bascule vers l'arrière pour devenir parallèle à l'ischion ;
• réduction et fusion des doigts du membre antérieur et modification du bras en aile : le nombre de doigts passe de quatre à trois, puis fusionnent complètement ;
• fusion des clavicules : les clavicules fusionnent en une forme en V puis en U (fourchette).

Evolution du squelette chez les Théropodes Source : Guide critique de l'évolution, Guillaume Lecointre, 2009

Evolution de la structure des oeufs

Chez les Théropodes disparus, la coquille des oeufs est constituée de calcite, comme chez les Crocodiles et les Oiseaux actuels. Mais le nombre de couches est variable : une seule couche chez les Crocodiles et les Dinosaures sauropodes, deux couches superposées chez les premiers Théropodes (Oviraptoridés et Troodontidés) et trois couches chez les Oiseaux actuels.

On connaît de nombreux gisements d'oeufs de Dinosaures (en France, celui d'Aix-en-Provence est un des plus célèbres) ; on pense que les premiers Dinosaures pondaient leurs oeufs en masse et faisaient preuve de peu d'attention parentale avant l'éclosion. En 1993, une découverte importante eut lieu en Mongolie : un squelette de Dinosaure non avien (l'Oviraptor Citipati) en position de couvaison sur son nid. C'est probablement la preuve que ces Dinosaures avaient des comportements proches des Oiseaux actuels.

Evolution des plumes

Pendant longtemps, on a pensé que les plumes étaient des caractéristiques de la classe des Oiseaux. Mais depuis une vingtaine d'années, plusieurs fossiles de Théropodes découverts en Chine (province de Liaoning) ont montré que l'apparition des plumes est antérieure à l'aptitude au vol. Le modèle actuel de l'évolution des plumes propose quatre étapes, chacune étant associée à un genre de Théropode et une description du type de plume.

Etape	Genre	Description
1	Sinoraupteryx	Le corps est recouvert de structures filamenteuses cylindriques de longeur entre 1 et 4 cm (structure proche des plumes du Kiwi actuel)
2	Beipiaosaurus	« plumes » faites de filaments creux à la base, de 5 à 6 cm de longueur et formées de barbules (duvets)
3	Caudipteryx	Plumes de contour symétrique permettant de planer d'arbre en arbre
4	Microraptor	Plumes de contour asymétrique sur les membres antérieurs et postérieurs lui permettant peut-être de voler

Si les plumes sont apparues avant le vol, on peut se demander quelles étaient leurs fonctions premières. On a l'habitude d'en proposer trois :

• l'isolation thermique : certains Théropodes étaient très actifs, ce qui laisse penser qu'ils étaient endothermes, les plumes leur permettaient de conserver la chaleur produite par le métabolisme ;
• la communication entre individus : on a trouvé des traces de couleurs sur certaines plumes, il est possible que les plumes servaient aux parades nuptiales ;
• la reproduction : certains fossiles avec des ailes ont été découverts en position de couvaison.

Sinoraupteryx	Beipiaosaurus	Caudipteryx	Microraptor
L'évolution des plumes chez les Dinosaures Reconstitution d'après Lecointre (2009) et l'article Les plumes de dinosaures de Prum et Brush, Dossier Pour la Science n° 48

Expérimentation du vol

On pense qu'Archaeopteryx était capable de voler, sans doute assez mal ; mais quoi qu'il en soit, cela n'explique pas comment les Dinosaures ont appris à voler ? A ce jour, les paléontologues ont deux hypothèses possibles que l'on peut résumer de la manière suivante :

• acquisition du vol depuis les arbres. Les dinosaures Théropodes avaient des griffes à l'extrémité de leurs membres antérieurs et certains devaient pouvoir grimper aux arbres. Même avec des ailes rudimentaires, ils ont pu apprendre à se laisser tomber en parachute ou à planer, puis avec des ailes plus développées, ils ont pu acquérir le vol battu ;
• acquisition du vol depuis le sol. Dans cette hypothèse, on suppose que c'est en courant et en battant leurs membres antérieurs que ces animaux ont quitté le sol, d'abord pour n'effectuer que des sauts, puis de véritables vols.

Notons qu'en se diversifiant, les Oiseaux ont considérablement fait évoluer l'aptitude au vol ; certaines espèces l'ont développée et à l'inverse d'autres l'ont perdue.

Source : Paléobiosphère, Patrick de Wever, Bruno David, Didier Néraudeau (modifié)

Conclusion

Le rapprochement entre les Oiseaux et les Dinosaures a été fait il y a 150 ans mais ce sont les nombreuses et récentes découvertes des Dinosaures en Chine et en Mongolie qui ont établi scientifiquement que dans la classification phylogénétique, les Oiseaux sont des Théropodes qui sont eux-mêmes des Dinosaures, les trois groupes étant monophylétiques.

Les Oiseaux actuels sont donc les représentants vivants des Dinosaures. Cette assertion, pour le moins surprenante, ne doit pas nous faire oublier que le mot Dinosaure est polysémique et qu'il est encore fréquemment utilisé dans son sens premier de terrible lézard pour désigner les reptiles disparus du Secondaire. Autrement dit, les Dinosaures sont à la fois actuels et éteints ; tout est question de définition.

Sites web et bibliographie

Il existe un grand nombre de sites web, documents ou articles sur les Dinosaures. Nous donnons ci-dessous une sélection de références en français concernant la filiation des Oiseaux, les Dinosaures ou la phylogenèse en général :

• Musée des Dinosaures d'Espéraza, le premier musée français entièrement consacré aux Dinosaures
• Plumes fossiles et évolution des oiseaux : quelques nouveautés, Cyril Langlois, Université de Bordeaux
• Le monde des Dinosaures, Dossier Pour la Science N° 48, juillet-septembre 2005
• L'origine et l'évolution des oiseaux : 35 années de progrès, de Kevin Padian et Armand de Ricqlès, comptes rendus Palevol, mars 2009
• Guide critique de l'évolution, sous la direction de Guillaume Lecointre, Belin, 2009
• Classification phylogénétique du vivant, Guillaume Lecointre, Hervé Le Guyader, Dominique Visset, Belin, 3^e édition, 2006
• Paléobiosphère : Regards croisés des Sciences de la Vie et de la Terre, Patrick de Wever, Bruno David, Didier Néraudeau, MNHN, SGF, Vuibert, 2010