Voyage dans l'archipel maltais

D'une certaine manière, le voyage a commencé à la commission de Paléontologie de janvier 2013, lorsque Christophe Decubber a donné un exposé modestement intitulé Présentation succincte de Malte en vue d'un voyage paléontologique. Cette proposition, bien documentée, a rapidement séduit les membres de la commission ; au total, treize ont été tentés et sont partis du 26 mai au 3 juin pour le voyage.

Un peu de géographie et d'histoire

Avec 316 km2 et 410 000 habitants, la République de Malte est le plus petit état de l'Union Européenne, membre de la zone euro depuis 2008. La langue nationale est le maltais, une langue qui croise l'arabe ifriqiyen, le sicilien et l'italien ; l'anglais est la seconde langue officielle du pays.

L'archipel maltais est constitué de huit îles dont quatre sont habitées : Malte est la plus grande, d'axe NO-SE, elle fait 27 kilomètres de long par 14 de large, Gozo est la seconde et est située à 5 kilomètres seulement de la pointe nord-ouest de Malte, Comino, beaucoup plus petite, est située entre les deux. Le climat est méditerranéen tempéré. Les côtes sont souvent escarpées et les falaises alternent avec les plages. Le paysage est marqué par la sécheresse, pratiquement sans forêt et sans prairie. De nombreux villages sont perchés et les collines sont souvent aménagées en terrasses avec des murets en pierre le long des lignes de niveau. L'eau douce est rare et le réseau est alimenté par de l'eau de mer désalinisée.

Sur le plan économique, Malte est une destination touristique importante, parfois qualifiée de zone grise financière et de pavillon maritime de complaisance.
Carte simplifiée de Malte et Gozo
Les repères J1 à J6 indiquent les zones de fouilles

Les premiers hommes occupant Malte viennent de Sicile au Néolithique vers 5400-5200 avant notre ère. Ce sont des agriculteurs-éleveurs-pêcheurs qui ont laissé des dizaines de monuments mégalithiques encore visibles, parmi lesquels les plus anciens temples connus en Europe ; certains sont classés au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Située à 90 kilomètres de la Sicile et à 300 de l'Afrique, Malte occupe une position stratégique en Méditerranée convoitée par de nombreux peuples au cours de l'histoire. Les Phéniciens, les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Vandales, les Ostrogoths, les Arabes, les Normands l'occupent tour à tour jusqu'au XIIème siècle.

Malte est alors rattachée au royaume de Sicile, et en 1530 Charles Quint y installe l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem qui devient l'Ordre des Chevaliers de Malte avec pour mission la défense de l'île contre les Ottomans. En 1565, ceux-ci tentent de s'emparer de l'île ; ils échouent après plusieurs mois de siège, des milliers de morts et beaucoup d'atrocités. Le grand maître de l'Ordre qui a commandé la bataille, Jean Parisot de La Valette a donné son nom à la future capitale, La Valette. La domination des chevaliers prend fin en 1798, lorsque Bonaparte occupe l'île. En 1800, les Britanniques l'annexent à leur Empire mais font face à des revendications nationalistes, qui aboutisent à une autonomie locale en 1947 et l'indépendance en 1964.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Malte subit de nombreux bombardements mais n'est pas envahie par les forces de l'Axe. Pour terminer ce rapide historique, signalons que Roosevelt et Churchill se sont rencontrés à Malte en février 1945, quelques jours avant la conférence de Yalta. Plus près de nous, en décembre 1989, quelques semaines après la chute du mur de Berlin, un important sommet diplomatique s'est tenu à Malte entre George Bush et Mikhail Gorbatchev qui mirent fin à la guerre froide.

La géologie et la paléontologie de Malte

La géologie

Les affleurements de l'archipel sont tous sédimentaires et datent du Cénozoïque, allant de l'Oligocène au Miocène, partiellement recouverts de dépôts quaternaires d'origine terrestre. La coupe complète différencie cinq formations principales :

Les cinq niveaux stratigraphiques de Malte
Source : Giovanni Bianucci et al. (2010)

Au cours des périodes de glaciation du Quaternaire, suite à la baisse du niveau des eaux, les îles de Malte ont été rattachées à la Sicile et le continent, ce qui a permis la migration de certaines espèces animales qui ont ensuite été isolées et ont donné naissance à de nouvelles espèces spécifiques naines, en particulier des éléphants et des hippopotames comme Elephas falconeri et Hippopotamus melitensis.

Les fossiles de Malte

Les fossiles des mammifères terrestres endémiques comme les éléphants ou les hippopotames sont inaccessibles à l'amateur qui peut cependant faire de belles collectes sur des étages allant de l'Oligocène (40 Ma) au Miocène (5,3 Ma). Les niveaux les plus fossilifères sont le calcaire à globigérines et l'argile bleue. On y trouve notamment une grande variété d'Echinidés :

En dehors des oursins, on trouve une grande variété d'autres fossiles : vertébrés marins (dents ou vertèbres) et invertébrés (pectens, chlamys, gastéropodes, huîtres, crabes, etc.).


Dwejra Bay


Ghajn Znuber

Le voyage

Malte n'est qu'à un peu plus de deux heures de vol de Paris ; mais le dépaysement est sensible dès la sortie du parking de l'aéroport, surtout pour les conducteurs des voitures de location qui doivent affronter le trafic routier en conduisant à gauche. Beaucoup de routes sont en mauvais état et la signalisation est souvent absente, de plus, les noms des lieux en maltais ou en anglais ne sont pas toujours reconnus des GPS, ce qui ne simplifie pas les déplacements.

Nous avons passé deux jours dans l'île de Gozo et cinq dans l'île de Malte où nous résidions au nord de l'île, à Qawra. Nous avons toujours fouillé le long des côtes, en général au pied des falaises, dans les blocs de calcaire éboulés ou sur les versants argileux. Mais les plages maltaises sont souvent très étroites et les couches fossilifères difficilement accessibles, ce qui a parfois rendu les approches un peu délicates. Nous avons tous été très sensibles à la beauté des paysages et à la flore méditerranéenne, magnifique en cette fin de printemps : thym, câpriers, figuiers de Barbarie, mufliers, euphorbes, etc... étaient en fleur et coloraient une nature par ailleurs plutôt aride et austère.

Le voyage était bien sûr consacré à la paléontologie, mais quelques uns d'entre nous ont (sans doute avec raison) abandonné leurs chers fossiles pendant un jour ou deux pour des visites à caractère culturel : la Valette, Mdina, les temples mégalithiques et bien d'autres sites de Malte méritent à eux seuls le voyage.


Anciennes salines
Xatt L-Ahmar


Argiles bleues
Gnejna Bay

Gozo

Pour la première journée J1 nous sommes au nord et à l'ouest de l'île, d'abord à Ras il-Bajda et Xwieni Bay. Le site est caractérisé par un petit piton rocheux qui regroupe en un même lieu l'ensemble des niveaux géologiques de l'île. En continuant la route vers l'ouest, on arrive rapidement à Reqqa Point, le calcaire corallien qui constitue les falaises est très induré et on y trouve de nombreuses scutelles, malheureusement difficiles à dégager. Sur la plateforme, on voit un curieux réseau de bacs et de rigoles creusé dans la roche, vestige de salines maintenant abandonnées. En fin de journée, nous fouillons à Dwejra Bay, à côté d'Azur Window. Cette curiosité géologique est une fenêtre, percée dans la falaise par des phénomènes karstiques et dégagée par l'érosion marine, c'est un des sites les plus connus de l'île.


Ras il-Bajda


Azur Window

Pendant la seconde journée J2, nous explorons deux sites au sud-est de l'île. Le premier arrêt est à Qala Point où l'on fouille dans les calcaires supérieurs à globigérines et où l'on distingue nettement les trois niveaux phosphatés. L'après-midi commence par une belle promenade à mi-hauteur des falaises de Rdum Tat-Tafal. On traverse un magnifique champ de figuiers de Barbarie en fleurs, puis on descend sur le platier, à Xatt L-Ahmar ; on fouille dans les argiles bleues et dans le calcaire à globigérines. En fin d'après-midi, on embarque à Mgarr pour l'île de Malte.


Figuier de Barbarie


Câprier

Malte

J3, première journée dans l'île de Malte, commence par un passage à Mdina et la visite du National Museum of Natural History. Mdina est l'ancienne capitale, c'est une ville fortifiée, située sur un point culminant de l'île. Le musée occupe l'ancien palais du grand Maître de l'Ordre, transformé d'abord en hôpital, puis en musée. La section Paléontologie donne un aperçu des fossiles de l'archipel (vertébrés, céphalopodes, gastéropodes, etc...) mais on est frappé par le manque de précision des indications fournies, comme si personne n'avait pris le soin de différencier les genres et les espèces des fossiles exposés. Par contre, la Géologie et les cinq niveaux principaux de l'archipel sont présentés d'une manière très pédagogique. La suite de la journée se passe sur la côte nord-ouest de l'île, à Gnejna Bay, Ras il-Pelerin et Fomm-Ir-Rih Bay où l'on fouille dans les argiles bleues et les blocs de calcaire à globigérines tombés au niveau de la mer.

Au quatrième jour J4, nous retournons au nord-ouest de l'île, près du village de Popeye (lieu de tournage du film du même nom), plus précisément à Ghajn Znuber, dans une formation de calcaire missénien, où plusieurs espèces de crabes ont été identifiées. Puis, nous fouillons quelque kilomètres au nord, à Ta' Qassisu.


Dent de Carcharodon megalodon
Ghajn Znuber


Vertèbres de requins
Fomm-Ir-Rih Bay

Au cinquième jour J5 nous traversons l'île et allons au sud, de l'autre côté de la Valette. Nous commençons par la visite de la grotte et du musée de Ghar Dalam, point de passage obligé d'un voyage orienté Paléontologie à Malte. C'est un des lieux où l'on a découvert de nombreux restes de mammifères (éléphants, hippopotames, cervidés, ours, renards, moutons, vaches, chevaux) et des traces d'activité humaine. La grotte, creusée dans le calcaire sur près de 150 mètres de long est accessible au public et on peut y voir les différents niveaux où les fossiles ont été trouvés. Dans ses vitrines, le musée expose des centaines de fossiles de vertébrés : dents, astragales, mandibules, vertèbres, etc. Malheureusement, si l'on possède ces restes en grande quantité, on n'a trouvé aucun fossile complet.

Après la visite de la grotte et du musée, nous fouillons à Marsaxlokk Bay, près d'un terrain militaire, puis passons l'après midi à Saint Peter's Pool, une belle crique protégée des vents qui invite à la baignade ; on y trouve de nombreux oursins.


Une vitrine du musée de Ghar Dalam


Saint Peter's Pool

Le sixième jour J6, commence par une déception : le site prévu, Bahrija, est inaccessible, le seul chemin possible nécessite le passage par une grande propriété privée qui est interdite d'accès. Nous devons aller vers un lieu proche, à Rdum Il-Hmar où le grès calcaire jaune permet de dégager facilement de nombreux bivalves de type chlamys.

Dans le programme, le septième jour était laissé à l'initiative de chacun, mais le groupe dans son ensemble a choisi de retourner à Gnejna Bay qui est sans doute un des plus sauvages et des plus riches sites que nous ayons prospectés.

Le dernier jour est limité en temps car le vol du retour est en début d'après midi. Nous le consacrons à la visite du Limestone Heritage Museum qui n'est situé qu'à quelques kilomètres de l'aéroport. Ce musée, cofinancé par l'Union Européenne, met en valeur le travail de la pierre. On y voit une présentation très didactique des différentes techniques utilisées au cours des âges par les carriers et les maçons de Malte pour extraire et travailler le calcaire à globigérines, matériau de base pour la construction dans l'archipel.


Schizaster
Xwieni Bay


Echinolampas
Fomm-Ir-Rih Bay


Scutelle (en partie visible)
Malte


Cidaris
Malte

Les trouvailles

Il faut reconnaître que sur plusieurs sites, il fallait une certaine expérience (ou chance) pour repérer les fossiles enfouis dans l'argile ou le calcaire. Sur d'autres sites, le calcaire était si compact, qu'il était impossible d'en extraire quoi que ce soit. Par ailleurs, comme toujours dans ce genre de prospection, il y eut bien des désappointements : des oursins en apparence bien conservés qui se sont avérés être abîmés, ou par exemple cette côte de mammifère marin qui s'est pulvérisée en miettes une fois qu'elle était pratiquement dégagée.

Mais au bout du compte, malgré ces difficultés, chacun de nous a enrichi sa collection, les plus débutants ayant parfois été aidés par les meilleurs du groupe qui leur ont donné certaines de leurs trouvailles. Parmi les pièces rapportées on peut mentionner principalement :



Calcaire corallien et coraux
Malte


Pince de crabe
Ghajn Znuber

Conclusion

Nous avons tous apprécié cette semaine passée à Malte et c'est avec plaisir que nous avons offert un souvenir à Christophe pour le remercier du travail qu'il a accompli pour organiser le voyage tant sur l'aspect logistique que géologique ; le guide des sites qu'il avait préparé s'est avéré particulièrement indispensable : à une exception près, tous les affleurements prévus au planing ont pu être explorés, ce qui est remarquable lorsqu'on connaît les difficultés du terrain. La meilleure preuve de la satisfaction du groupe est sans doute que plusieurs d'entre nous ont suivi Christophe quelques semaines après le retour de Malte pour un week-end de fouilles à Anvers.

Crédit photos : Martine Alcuta, Jacqueline Ardaine, Christophe Decubber, Elise Hilger, Jacqueline Macé-Bordy, Jean-Marie Parent, Michèle Vallée.

Quelques références utiles pour préparer un voyage à caractère paléontologique à Malte :