Dominique Rossier
Membre de la commission Volcanisme
Situé entre la croûte et le noyau, le manteau constitue le volume le plus important du globe terrestre et est le lieu de mouvements de
convection qui jouent un rôle fondamental dans la cinématique des plaques et le volcanisme ; d'où l'intérêt d'en connaître sa nature et son
fonctionnement. L'exposé résumé ci-dessous est la première partie d'une présentation qui doit nous aider à mieux en comprendre ses propriétés.
Aucun forage n'a atteint la profondeur du manteau. Sa connaissance est essentiellement indirecte et repose sur deux
disciplines, la sismologie et la minéralogie/cristallographie des hautes pressions :
- La sismologie, étude de la propagation des ondes à l'intérieur de la Terre, date du début du XXe siècle. Ces ondes,
qu'elles soient de compression ou de cisaillement ne se propagent pas de manière rectiligne : leur vitesse dépend des
propriétés des milieux traversés et elles se réfractent et se réfléchissent sur les différentes discontinuités qu'elles rencontrent.
L'analyse et l'interprétation des réponses aux séismes permet de différencier les couches constituant le globe terrestre.
- La minéralogie/cristallographie des hautes pressions est beaucoup plus récente et n'a débuté qu'au milieu du XXe siècle.
Depuis les années 2000, la technique des enclumes à diamant permet de reconstituer des environnements simulant les conditions de pression
et température du manteau inférieur, c'est-à-dire plus de 100 Gpa (le Giga Pascal est l'unité usuelle de pression pour étudier le manteau et correspond
à 10 000 bars) et plus de 2 000 °K.
Les deux limites du manteau, supérieure et inférieure, ont été découvertes par deux précurseurs de la géophysique, il y a une centaine d'années :
- Le moho. En 1909, le physicien et sismologue Andrija Mohorovicic analyse les sismogrammes d'un tremblement de terre qui a
eu lieu près de Zagreb et fait l'hypothèse d'une discontinuité située à une cinquantaine de kilomètres de profondeur. Cette séparation
croûte/manteau est confirmée ultérieurement et est appellée "moho", une abréviation du nom de son découvreur. Sa profondeur est variable,
quelques kilomètres seulement sous les océans et au maximum 70 sous les montagnes ;
- La discontinuité de Gutenberg. En 1912, le physicien allemand Beno Gutenberg observe un zone d'ombre dans les réflexions sismiques
(une région sans réponse aux séismes, voir le schéma ci-contre) et en déduit l'existence d'une discontinuité à la limite inférieure du manteau à une profondeur de 2 900 km.
Entre ces deux frontières, le manteau est une succession de couches dont les propriétés physiques varient en fonction de la profondeur :
- la température augmente très rapidement sur les premières centaines de kilomètres de profondeur, puis beaucoup plus lentement
pour atteindre environ 2 500 °K à la limite du noyau ;
- la pression croît de manière pratiquement linéaire avec la profondeur jusqu'à environ 120 Gpa à la discontinuité de Gutenberg ;
- la partie la plus superficielle est rigide et fait partie de la lithosphère (avec la croûte) ; les transferts de chaleur s'y font par
conduction, sans mouvement de matière. Au delà d'une centaine de kilomètres (70 sous les océans et 150 sous les continents), le matériau est
beaucoup plus plastique et constitue l'asthénosphère ; les transferts de chaleur s'y font principalement par convection, avec des mouvements
de matière.
En 1981, les géophysiciens publient PREM (Preliminary Reference Earth Model), le premier modèle qui différencie plusieurs couches du manteau. Les recherches
des dernières années l'ont enrichi et on a l'habitude de proposer actuellement un modèle à 5 couches. Le tableau ci-dessous en donne
un aperçu en indiquant les profondeurs, le minéral principal de la couche et sa structure.
Couche | Profondeur (km) | Minéral principal | Structure |
Croûte | en moyenne 7 à 12 sous les océans, 30 à 40 sous les continents |
Manteau | Supérieur | 410 | Olivine | Olivine |
520 | Wadsleyite | Spinelle modifiée |
660 | Ringwoodite | Spinelle |
Inférieur | 2 600 | Pérovskite | Pérovskite |
2 900 | Postpérovskite | Postpérovskite |
Noyau | 6 370 (centre de la Terre) |
L'olivine Mg2(SiO4) constitue le minéral majeur du manteau supérieur. Elle se présente sous différentes variétés
en fonction de la profondeur :
- l'olivine alpha, la plus courante à la surface de la Terre, est un inosilicate, son réseau critallin est orthorombique et elle est
constituée d'un assemblage d'octaèdres Mg06 et de tétraèdres Si04 isolés. Elle contient une faible proportion de Fe ;
- lorsque la pression croît, l'olivine alpha se transforme en un polymorphe, la wadsleyite. Son réseau est monoclinique, plus compact que
l'olivine alpha. Elle est stable entre 14 et 20 Gpa, ce qui correspond à des profondeurs entre 410 et 520 km ;
- au delà de cette pression, la wadsleyite se transforme à son tour en un autre polymorphe, la ringwoodite. Son réseau est cubique, sa struture
est spinelle (comme MgAl2O4 ou Fe3O4) et elle est stable entre 20 et 24 Gpa, c'est-à-dire jusqu'à 660 km de profondeur.
Le manteau inférieur, entre 660 et 2 900 km de profondeur est constitué de pérovskite et de postpérovskite :
- à 24 Gpa, la ringwoodite se transforme en pérovskite MgSiO3. Sa structure est cubique, elle est plus dense que la ringwoodite et
constitue le minéral principal du manteau, sur une couche de près de 2 000 km d'épaisseur ;
- depuis quelques années, on a reproduit expérimentalement la transformation de pérovskite en postpérovskite. La modification de la structure
cristallographique (voir schéma) augmente la densité de 1,5%. On a vérifié que la pente de la transformation de phase est positive et que la réaction est
très sensible aux écarts de température (variations de quelques Mpa seulement par °K). Cette réaction se produit sur une épaisseur de 300 km environ à la
base du manteau et est probablement à l'origine des irrégularités constatées dans cette couche.
La discontinuité de Gutenberg manteau/noyau, appelée couche D" par les scientifiques, est une limite très marquée tant pour les propriétés
physiques que chimiques :
- le manteau est solide alors que le noyau externe est liquide (les ondes de cisaillement ne s'y propagent pas) ;
- les éléments dominants du manteau sont l'oxygène, le silicium et le magnésium alors que ceux du noyau sont le fer et le nickel.