Les points chauds du Pacifique

Patrick Demougeot

Patrick Demougeot est Inspecteur d'Académie dans le Département des Hautes Pyrénées. Agrégé de Géologie, il a vécu plusieurs années en Polynésie française où il a enseigné les sciences naturelles. C'est un spécialiste de la géologie de l'océan Pacifique et il a publié un des rares ouvrages sur le sujet : la Géologie de la Polynésie française et du Pacifique. La conférence qu'il donne aujourd'hui à la SAGA dans le cadre de la commission Volcanisme est en trois parties : une présentation de la plaque pacifique et plus particulièrement de la Polynésie française, un panorama des différentes théories qui tentent d'expliquer le phénomène des points chauds, et enfin, la géologie d'une île formée par un point chaud, Tahiti.


Les frontières de la plaque pacifique
Dorsales, zones de subduction et failles coulissantes


L'âge du plancher océanique
De l'actuel à 180 Ma

La plaque pacifique

Chacun sait que l'océan Pacifique est le plus vaste des océans de notre planète, mais on connaît beaucoup moins sa structure géologique que l'on peut résumer de la manière suivante (les pourcentages indiqués sont relatifs à la surface de l'océan) :

La plaque pacifique est la plus grande plaque lithosphérique de la Terre, elle recouvre la majeure partie de l'océan Pacifique et la Basse Californie (Mexique). Elle est délimitée par des dorsales océaniques au Sud et à l'Est, des zones de subduction au Nord et à l'Ouest, et des failles transformantes en Nouvelle Zélande et en Californie.

Les vitesses d'accrétion des dorsales varient entre 5 et 18 cm par an, celles de subduction dans les fosses entre 2 et 12 cm par an. On a mesuré qu'actuellement la mouvement général de la plaque est une translation orientée à 115° à partir du Nord, proche d'une direction ONO.

Les zones d'accrétion et de subduction sont particulièrement visibles sur la carte représentant l'âge du plancher océanique qui varie de zéro aux limites Est et Sud, à 180 Ma à l'Ouest, vers les Philippines. En s'éloignant de la dorsale, la plaque se refroidit, ce qui provoque son épaississement (7 à 10 km d'épaisseur à la dorsale jusqu'à 200 km avant la subduction) et sa subsidence (la colonne d'eau au-dessus du plancher océanique passe de 2 500 m à la dorsale à 6 000 m au-delà et même plus près des fosses).


Le Pacifique Sud
13 aligements d'îles et 1 plateau


Schéma théorique d'un point chaud
La source du magma est à la frontière manteau/noyau

Le volcanisme intraplaque

Le volcanisme intraplaque porte sur une très petite partie de la surface totale de l'océan, mais c'est un sujet d'étude intéressant car le phénomène géologique est loin d'être parfaitement compris.

La plaque pacifique compte 25 alignements volcaniques et 8 plateaux océaniques (Smith et Sandwell, 1994) :

Mais si l'on étudie les alignements et les plateaux de manière plus précise, on se rend compte que les structures géologiques sont souvent plus complexes que la théorie simplifiée le laisse entendre. Quelques exemples choisis dans la Polynésie française suffisent pour le montrer :

Pour terminer cette brève description, on peut signaler l'existence de ce qui est appelé le superbombement du Pacifique Sud qui recouvre toute cette région du Pacifique. Le plancher océanique y est relevé de 250 à 680 mètres par rapport à la moyenne, ce qui indique la présence d'une vaste chambre magmatique à faible profondeur.


Schéma de la Polynésie française
3 zones géologiques A, B et C délimitées par
des zones de fractures (anciennes failles transformantes)


L'archipel de la Société
L'âge des îles est proportionnel à leur distance à Mehetia

Les points chauds

Le dictionnaire de Géologie de Foucault et Raoult définit un point chaud de la manière suivante : 'une zone de formation de magma située au sein du manteau à partir de laquelle la matière s'élève selon une colonne ascendante nommée panache, se traduisant à la surface de la lithosphère par des manifestations volcaniques. Ces points chauds auraient une durée très longue, d'au moins quelques dizaines de millions d'années, et seraient à peu près immobiles par rapport au repère que forme le globe terrestre'.

Cette définition, quasi officielle est belle dans sa simplicité, mais est loin de traduire la complexité du sujet qui est actuellement objet de controverse. Nous en donnons ci-dessous un aperçu.

La théorie des points chauds remonte aux années 60-70 et est due à un géophysicien américain William Morgan. Au départ, il en a identifié 20, mais d'autres géophysiciens en ont dénombré ensuite beaucoup plus : 96 pour Luce Fleitout (1992), 49 pour Vincent Courtillot (2003) et 92 pour Robert Anderson (2005).

En affinant sa théorie, Morgan a retenu cinq critères pour définir un 'vrai' point chaud :

Mais le nombre de points chauds répondant à ces critères, ou au moins à quatre d'entre eux est beaucoup plus faible que ce qui était initialement estimé. De plus, ce nombre n'est pas le même pour tous les chercheurs : 7 pour Vincent Courtillot (2003), 8 pour Jeroen Ritsema (2003), 6 pour Raphaella Montelli et seulement 2 (Afar et Islande) pour Robert Anderson.

Ces résultats divergents ont évidemment fragilisé le modèle initial et ont progressivement mis en doute l'hypothèse de la source profonde du magma. Certains géophysiciens comme Vincent Coutillot distinguent les points chauds primaires ayant une source profonde, des autres appelés secondaires ou tertiaires. D'autres, comme Anderson pensent que l'origine du magma du volcanisme intraplaque est superficielle et liée à la tectonique des plaques.


Interprétations d'une tomographie sismique (B)
(A) : par Courtillot, (C) : par Anderson


Tomographie sous le point chaud de la Société
Montelli (2003)

Un outil prometteur utilisé par les chercheurs depuis quelques annés est la tomographie qui permet de mesurer les vitesses de propagation des ondes à l'intérieur de la Terre. Un ralentissement est corrélé à un accroissement de viscosité de matière et une élévation de température. Le traitement informatique des mesures permet d'établir des coupes indiquant la température du manteau à différentes profondeurs d'un lieu donné. Mais il faut reconnaître qu'à l'heure actuelle, une même carte peut être diversement interprétée, ce qui n'apporte pas de certitude sur le phénomène.

En résumé, l'origine du magma des points chauds est aujourd'hui mal connue et le débat entre les partisans d'une origine profonde et ceux d'une origine superficielle n'est pas clos. Pour ce qui concerne la Polynésie française, une hypothèse plausible consiste à dire que le réservoir de magma serait une vaste chambre magmatique située au niveau du manteau supérieur, par opposition à un volcan comme Hawaï où l'alimentation serait au niveau de la séparation manteau/noyau.


Le volcanisme de la Polynésie française

Tahiti, une histoire géologique complexe

L'île de Tahiti est sans doute la plus connue des îles de Polynésie française. Elle est située dans l'archipel de la Société et est composée de trois volcans : le volcan de Tahiti Nui sur la partie principale de l'île, le Taiarapu sur une presqu'île et le Taravao sur l'isthme de même nom reliant île et presqu'île. L'île fait 60 km dans sa plus grande dimension (île et presqu'île), est montagneuse et culmine à 2 241 mètres.

Le volcan principal se présente dans son ensemble comme un volcan bouclier avec une caldeira au centre, sa pente moyenne est de 15°, ce qui correspond à un volcanisme de type effusif. Mais plusieurs particularités sont les signes d'une histoire géologique complexe :

La synthèse de ces données, a conduit les géologues à retenir le scénario suivant pour décrire l'histoire géologique de l'île :



Dissymétrie de la morphologie


Reconstitution de l'histoire géologique


L'île de Tahiti

L'heure avance et Patrick Demougeot doit mettre fin à son exposé et aux belles images de Tahiti qu'il a gardées pour nous engager au voyage. Plusieurs questions sont posées sur la nature des magmas, les mouvements des plaques lithosphériques... et pour terminer, sur l'arc volcanique intraplaque européen, du Massif central à l'Eifel, qui nous est bien plus familier que la lointaine Polynésie, et pour lequel on invoque généralement une distension de la croûte liée à un rebond suivant la création de l'arc alpin. Les (nombreux) auditeurs de la conférence ont incontestablement apprécié l'intérêt et la clarté de l'exposé de Patrick Demougeot et ils le remercient très chaleureusement.

Lectures et sites web recommandés

Pour aller plus loin sur le sujet, vous pouvez consulter les livres et sites web suivants :