On a souvent tendance à présenter la minéralogie comme une discipline ancienne et quelque peu désuète : elle est de moins en moins enseignée à l'université et ne semble pas passionner le public, la fermeture de la galerie de minéralogie du Muséum en est une preuve. Faut-il pour autant s'en tenir à cette vision pessimiste et nostalgique de la situation ? La réponse de François Farges est clairement non. Dans cette conférence, il nous montre que la minéralogie au sens traditionnel a effectivement vécu mais que de "nouvelles minéralogies" émergent. Pour lui, les minéralogistes ont toujours leur place dans les sciences mais ils ne font pas exactement le même métier que leurs prédécesseurs.
Les minéraux sont le plus souvent caractérisés par un ensemble de propriétés : solides, réseaux cristallins, inorganiques, naturels (c'est-à-dire récoltés sur Terre et ne résultant pas de l'action humaine). Cette définition qui a bordé pendant pratiquement deux siècles le champ de la minéralogie a été pertinente à la naissance de la discipline et a permis son évolution. Mais quelques remarques suffisent pour en montrer ses limites :
La définition même des minéraux semble donc à revoir. On peut noter que ce point ne constitue pas en soi une exception ; au fur et à mesure que la science progresse, elle est souvent amenée à remettre en cause ses propres concepts : des notions comme le vivant ou l'inanimé, le monde animal ou le végétal, qui semblaient premières il y a un ou deux siècles sont aujourd'hui difficiles à définir rigoureusement.
Si le concept de minéral est à élargir, il n'est pas vraiment surprenant que le métier de minéralogiste doive également évoluer. Les "nouvelles minéralogies" sont des domaines où les minéraux sont présents, tout en étant hors du champ strict et habituel de la discipline. Les quelques exemples donnés pendant la conférence essaieront de préciser cette idée.
D'abord, il est clair que la minéralogie n'est plus limitée à l'étude d'échantillons que l'on collecte dans les champs, les carrières ou les mines. Chacun sait que l'on a rapporté sur Terre des roches de la Lune et que depuis quelques mois, le robot Curiosity explore la surface de la planète Mars et nous en transmet des images. Parmi les instruments du robot, une caméra chimique permet d'analyser les échantillons que le robot trouve sur sa route. François Farges ne cache pas son enthousiasme lorsqu'il nous dit que le Muséum a fourni l'échantillon de macusanite (un verre volcanique du Pérou, particulièrement stable et homogène, riche en silice et aluminate) qui a été transporté sur Mars pour calibrer la caméra.
On peut donc actuellement étudier à distance les roches martiennes en ne les voyant qu'à travers les yeux d'un robot. La minéralogie des planètes et de leurs satellites constitue incontestablement un nouveau champ d'investigation pour les minéralogistes.
Ils ont également à leur disposition des instruments qui leur permettent de reconstituer des conditions naturelles mais inexistantes à la surface de la Terre ; tel est le cas des enclumes à diamant qui, couplées avec des rayons laser peuvent reproduire des conditions de pression et température comparables à celles qui existent à des centaines ou des milliers de kilomètres de profondeur. Les minéralogistes ont ainsi créé des minéraux de synthèse et modélisé le manteau inférieur qui demeure aujourd'hui inaccessible :
Une autre expérience effectuée dans les conditions de température et pression du manteau a permis de créer du méthane à partir de calcite, wüstite (FeO) et eau. Ce processus inorganique est peut-être à l'origine des poches de ce gaz que l'on trouve parfois dans les cratons granitiques. La visualisation de la réaction a permis d'établir une théorie sur la formation de magma, homogène en profondeur, et perdant son homogénéité lorsqu'il monte vers la surface, avec génération de gaz explosifs.
![]() Paysage martien : des roches riches en oxydes de fer, sulfites, sels de magnésium Source : NASA |
![]() Principaux minéraux terrestres en fonction de la profondeur (km) Source : François Farges |
Pendant longtemps, on a considéré que la minéralogie consistait d'abord à découvrir et classer de nouveaux minéraux : c'est la systématique. Elle a produit une liste d'environ 4 000 minéraux et cela est incontestablement un acquis scientifique. Mais où en est la systématique aujourd'hui ?
Une centaine d'espèces minérales sont découvertes chaque année, souvent par des équipes russes ou italiennes qui sont très actives dans ce domaine. Ces espèces, reconnues par l'IMA (International Mineralogical Association) sont fréquemment microscopiques, en général très localisées (souvent au fin fond de la Sibérie et aux abords des volcans italiens) : elles n'apportent finalement que peu d'informations véritablement nouvelles, contrairement aux promesses de cette discipline dans les années 1990. Mais, fort heureusement, quand la minéralogie systématique nous surprend, elle nous apporte des nouveautés absolument majeures. Deux exemples sont particulièrement extraordinaires :
L'icosahédrite a été découverte en 2008, dans la rivière Khatyrka (Russie). C'est un alliage d'aluminium, cuivre et fer de formule Al63Cu24Fe13. Son réseau possède une symétrie d'ordre 5 et ne fait pas partie des réseaux cristallins répertoriés à ce jour par les minéralogistes. C'est le premier quasi-cristal naturel récolté à la surface de la Terre ; son origine est météoritique. Sa découverte même invalide la notion actuelle de minéral, tout corps solide, cristallisé d'origine géologique. Il faut la revoir en y incluant les minéraux non cristallisés, dont certains sont déjà d'ailleurs reconnus comme le mercure, l'opale, le chysocolle, l'allophane et tant d'autres, souvent d'origine biogéochimique.
La fougèrite est une argile de couleur bleu-gris ou bleu-vert et de formule [Fe2+4 Fe3+2 (OH)12] [CO3] 3H2O. Elle a été identifiée pour la première fois dans la forêt de Fougères (Ille et Vilaine). Sa découverte a conduit à la création d'un nouveau groupe d'argiles anioniques parmi lesquelles on classe deux autres espèces dont les localités types sont également en France :
Il faut reconnaître que les minéralogistes ont longtemps délaissé les argiles, peut-être trop peu esthétiques à leur goût. Mais ces minéraux sont primordiaux dans notre écosystème et certains peuvent avoir un grand intérêt industriel. C'est par exemple le cas des argiles du groupe de la fougèrite qui absorbent les nitrates et apporteront peut-être une solution à la prolifération d'algues qui pollue certaines plages bretonnes. Des recherches sont en cours.
![]() Icosahédrite Source : mindat.org, © Paul Steinhardt |
![]() Trébeurdénite en place (Ile d'Aval, Trébeurden) Source : Ouest-France |
Pour François Farges, la protection de l'environnement n'est pas une affaire de bobos. Les dégâts des industries, mines et usines sur l'environnement sont réels et les minéralogistes peuvent y apporter leur expertise. Il a déjà donné à la SAGA une conférence sur une mission qu'il a effectuée au Brésil en 2011 et qui développait ce thème. Il nous donne aujourd'hui des exemples en France.
A Carnoulès (Gard), une ancienne mine de plomb-zinc maintenant fermée a laissé de grandes quantités de stériles d'où émerge un ruisseau aux eaux acides et très polluées. Sur le ruisseau, s'est formé naturellement un encroûtement de stromatolites construit par des colonies de bactéries qui précipitent une grande quantité d'arsenic et de fer contenus dans les eaux. Ce processus naturel de purification n'est cependant pas suffisant pour obtenir en aval une eau de qualité normale et des mesures restent à prendre pour décontaminer totalement l'environnement.
Un autre exemple de pollution industriel est celui de l'usine Metaleurop à Noyelles-Godault, dans le Pas-de-Calais. Ce site a recueilli un siècle de rejets de plomb, zinc, cadmium et autres métaux lourds qui ont pollué le sol sur plusieurs dizaines d'hectares. L'usine a fermé au début des années 2000 en laissant 190 000 tonnes de déchets toxiques. Le site a fait l'objet d'un programme de réhabilitation important mais la couche superficielle des sols a encore un niveau de pollution anormal.
Les bio-minéraux ont jusqu'à présent peu intéressé les minéralogistes qui ont eu tendance à les laisser aux biologistes. Or, un grand nombre de minéraux résultent d'un processus biologique. Les dendrites de pyrolusite MnO2 déposées sur les calcaires en sont un exemple bien connu des amateurs, mais il en existe beaucoup d'autres et certains peuvent avoir un intérêt considérable.
En respirant, la bactérie Shewanella a la capacité de réduire un grand nombre d'éléments comme le fer, le manganèse, le soufre, et même l'uranium. Elle peut ainsi transformer les ions U+6 solubles en ions U+4 insolubles (uraninite UO2). Le processus pourrait être utilisé pour décontaminer des eaux radioactives.
Un autre exemple de biofixation d'éléments toxiques est fourni par le sélénium. Cet élément, très toxique au-delà d'une certaine teneur, est présent dans les produits high-tech et certaines matières résiduelles d'origine industrielle ou agricole sous forme de sels qui peuvent entraîner des pollutions importantes. La décontamination d'une eau polluée peut se faire grâce à des bactéries qui précipitent le sélénium sous forme élémentaire et insoluble.
C'est le temps qui manque, pas les exemples. François Farges cite quelques autres thèmes choisis dans une longue liste :
![]() Cinabre, un minéral dangereux Source : Parent Géry, sur Wikimedia Communs |
![]() Argiles Sans elles, il n'y aurait pas de vie continentale |
Au cours de la conférence, François Farges a évoqué plusieurs fois les effets néfastes des minéraux pour l'environnement. Pour terminer sur une note plus optimiste, il aborde la question des minéraux et de la santé et nous donne une liste personnelle, mais instructive, des minéraux bénéfiques à la santé et de ceux qui peuvent être très nuisibles.
Parmi les minéraux dangereux, on trouve sans surprise des sulfures comme le cinabre (HgS), la galène (PbS), la pyrite FeS2), la chrysotile-antigorite Mg3Si2O5 (OH)4, plus connue sous le nom d'amiante blanche.
D'autres sont également potentiellement dangereux, d'autant que leur action est indirecte et qu'ils nous semblent a priori très inoffensifs :
Certains minéraux peuvent être, suivant les cas, bons ou mauvais. Deux exemples :
Enfin, pour terminer, voici une liste de minéraux réputés bons :
Le savoir de base d'un minéralogiste est celui des minéraux : identifier et analyser les minéraux, décrire leurs structures et leurs propriétés, étudier dans quelles conditions ils se forment, comment ils se transforment, etc. Mais le minéralogiste d'aujourd'hui doit aller au-delà ; il doit rechercher l'interdisciplinarité et s'ouvrir à des domaines voisins tels la chimie, la biologie ou la protection de l'environnement pour y apporter son expertise.
François Farges ne cache pas que certains professionnels résistent à cette idée qui revient en quelque sorte à promouvoir une minéralogie appliquée, par opposition à une minéralogie supposée vraie et pure. Mais à l'inverse, ce message peut être considéré comme extrêmement positif et encourageant ; il répond aux discours négatifs et récurrents sur la minéralogie, montre que la discipline reste d'actualité et a un avenir dans la recherche scientifique moderne. Espérons qu'il soit entendu.
Comme à chacune de ses conférences, les auditeurs ont été impressionnés par l'exposé de François Farges et ils y ont découvert un grand nombre d'informations. François Farges est un de ces enseignants chercheurs passionnés par leur métier qui ont le talent de transmettre quasi naturellement leur enthousisame. Nous y sommes très sensibles et le remercions très amicalement.
Quelques références internet qui détaillent certains points abordés dans la conférence :